Des routes qui tuent, un système qui abandonne

SOS Médias Burundi
Gitega, 24 juillet 2025 — Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Martin Niteretse, a tiré la sonnette d’alarme en début de semaine à Gitega, capitale politique du Burundi. Plus de 200 accidents de la route ont été recensés entre mars et juillet 2025 dans les régions du centre du pays. Une situation que le ministre qualifie de « tragédie silencieuse », allant jusqu’à comparer le nombre de victimes à celui d’un conflit armé.
Face aux responsables de la sécurité, il a dénoncé l’excès de vitesse, l’état vétuste de nombreux véhicules et l’irrespect généralisé du code de la route. Il a ordonné à la police de roulage de retirer immédiatement de la circulation les véhicules dangereux, de sanctionner les conducteurs imprudents et de renforcer les contrôles routiers sur tout le territoire. Il a également appelé à une vaste campagne de sensibilisation nationale.
Une méfiance bien ancrée
Mais ces déclarations n’ont pas convaincu tout le monde. De nombreux citoyens doutent de l’efficacité des mesures annoncées, dénonçant une corruption endémique au sein de la police de roulage. Selon plusieurs témoignages recueillis par SOS Médias Burundi, des pots-de-vin de 10 000 francs burundais par véhicule seraient régulièrement exigés, en particulier sur les principales routes nationales. Une pratique qui mine l’autorité des agents et vide de leur sens les directives ministérielles.
Dans les campagnes, survivre avant tout
À l’intérieur du pays, notamment à Burambi (province de Burunga) ou à Nyakararo, la situation est encore plus critique. Les motos y sont devenues le seul moyen de transport disponible. Faute de routes carrossables, de carburant et de moyens financiers, elles sont souvent surchargées — jusqu’à cinq passagers à la fois.
« Depuis chez moi, je dois prendre une moto jusqu’à la route goudronnée de Rumonge. Voyager seule, c’est trop cher. Alors on partage, on monte à trois, quatre, parfois cinq », raconte Béatrice, habitante de Burambi.
Les conducteurs, eux aussi, se défendent : « Ce n’est pas qu’on veut violer la loi. On n’a pas le choix. Il n’y a pas de carburant, les gens n’ont pas d’argent. C’est ça ou rester chez soi », témoigne un jeune motard de Nyakararo.
Des routes impraticables et un carburant inaccessible
Les infrastructures routières en ruine rendent la circulation extrêmement dangereuse, voire impossible par endroits. Et lorsqu’il y a du carburant, son prix reste hors de portée pour la majorité des citoyens. L’absence de transports publics structurés aggrave encore la précarité de la mobilité.
« Le ministre parle des accidents, c’est vrai. Mais pour nous, les accidents commencent bien avant : quand on ne peut même pas se rendre à l’hôpital ou au marché », déplore un habitant de la commune de Rumonge, dans le sud-ouest.
Le problème est systémique
Nombre d’observateurs estiment que les mesures punitives à elles seules ne suffiront pas. Tant que les racines du problème — pauvreté, corruption policière, pénurie de carburant et déficit en transports publics — ne sont pas traitées, les routes du Burundi resteront meurtrières.
« On ne peut pas demander aux gens de respecter des règles quand ils n’ont aucune alternative réaliste. Le vrai problème, c’est structurel », analyse un sociologue basé à Gitega.
Des pistes pour une réforme en profondeur
Pour espérer réduire durablement le nombre d’accidents et sécuriser les routes, l’État burundais est appelé à repenser en profondeur son système de transport. Cela implique :
- La réhabilitation urgente des routes rurales et nationales ;
- L’approvisionnement régulier en carburant à un prix abordable ;
- Le soutien à des services de transport collectif accessibles ;
- Et surtout, une lutte effective contre la corruption dans les forces de l’ordre.
Rester chez soi, ou risquer sa vie
Dans un pays où se déplacer devient un risque quotidien, la mobilité ne relève plus d’un droit mais d’un pari sur la vie. Tant que l’État ne garantit pas des conditions minimales de sécurité et d’équité pour tous les usagers, les routes continueront de faire des victimes.
Pour beaucoup de Burundais, le choix est cruel et banal : rester chez soi, ou monter à cinq sur une moto… en espérant arriver en vie.
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Photo : Une femme transportant un enfant au dos sur un taxi-vélo dans une zone où les accidents sont fréquents, dans le nord-ouest du Burundi, juillet 2025. © SOS Médias Burundi