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Burundi : où sont passés les 908 millions USD des mines exportées vers les Émirats ?

Des hommes sur un site d’exploitation d’or dans le nord-ouest du Burundi. Des experts dénoncent une gestion opaque des fonds issus de la vente de minerais © SOS Médias Burundi

SOS Médias Burundi

Bujumbura, 17 juillet 2025 — Entre 2013 et 2023, les Émirats Arabes Unis ont importé pour 1,3 milliard de dollars de minerais en provenance du Burundi. Pourtant, selon les chiffres consolidés de la Banque de la République du Burundi (BRB) et les données du commerce international des Nations Unies (COMTRADE), seuls 430 millions de dollars ont été enregistrés par le Trésor public burundais. Où sont passés les 908 millions de dollars restants ? Ce trou colossal dans les recettes de l’État soulève de lourdes suspicions de détournements et de mauvaise gouvernance.

Durant plus d’une décennie, les Émirats Arabes Unis ont constitué le principal partenaire commercial du Burundi dans le secteur minier. L’or, le coltan, la cassitérite ou encore les terres rares figurent parmi les minerais les plus exportés vers Dubaï et Abu Dhabi.

« Ces ressources représentent une part importante des devises étrangères que le Burundi est censé engranger chaque année. Pourtant, l’impact réel de ces revenus sur le développement national est invisible », déplore un ancien cadre du ministère burundais des Finances, aujourd’hui en exil.

Des chiffres accablants

Selon les données disponibles :

Montant total payé par les Émirats (2013–2023) : 1,3 milliard USD

Montant effectivement enregistré au Trésor public : 430 millions USD

Manque à gagner : 908 millions de dollars

Un écart qualifié d’« abyssal » par plusieurs économistes contactés par SOS Médias Burundi. Pour eux, ce gouffre budgétaire ne peut s’expliquer autrement que par une captation délibérée des recettes minières par des réseaux d’intérêt bien placés.

Un scandale visible dès les premières années

Le détournement présumé n’est pas récent. Dès les premières années, l’écart entre les flux déclarés par les Émirats et ceux enregistrés par le Burundi était flagrant.

Entre 2013 et 2015, les Émirats auraient versé environ 600 millions de dollars pour les minerais burundais. Mais du côté burundais, seuls 1,76 million de dollars ont été comptabilisés dans les recettes nationales.

« Cela représente une perte de plus de 598 millions en seulement trois ans. C’est un pillage à ciel ouvert », estime un économiste burundais indépendant basé à Nairobi.

Une opacité institutionnelle inquiétante

Plusieurs facteurs expliqueraient cette situation, selon des spécialistes du secteur extractif :

L’absence de traçabilité entre les recettes minières et le budget national.

L’existence de courtiers ou d’intermédiaires fantômes dans la chaîne d’exportation.

Des complicités au sein des institutions financières et des douanes.

Le manque de contrôle parlementaire, souvent réduit à un rôle de façade.

« L’opacité règne à tous les niveaux, de l’octroi des permis miniers jusqu’à l’encaissement des devises. C’est une chaîne de prédation bien huilée », confie un ancien inspecteur des finances.

Un manque à gagner aux conséquences dramatiques

Dans un contexte de crise économique aiguë, les sommes disparues auraient pu :

Financer des écoles, des centres de santé, des routes rurales.

Renflouer les réserves de la BRB, stabilisant le franc burundais.

Réduire la dette extérieure et soulager la pression fiscale sur les plus pauvres.

« Ce sont des centaines de millions de dollars qui auraient pu transformer le pays. Au lieu de cela, nous assistons à l’effondrement des services publics », dénonce une députée de l’opposition qui a requis l’anonymat.

La société civile réclame des comptes

Face à l’ampleur du scandale, des voix s’élèvent pour exiger la transparence. Plusieurs ONG, des économistes et des journalistes d’investigation plaident pour :

La création d’une commission d’enquête indépendante sur les flux miniers.

L’adhésion effective du Burundi à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), bloquée depuis 2015.

La publication annuelle et détaillée des recettes minières et de leur usage.

« Ce n’est pas seulement une affaire de chiffres. C’est une affaire de dignité nationale. Le peuple burundais a droit à la vérité », affirme L.N, activiste du mouvement Justice Minérale.

Une trahison nationale

Dans un pays où la majorité de la population vit avec moins de deux dollars par jour, où l’eau potable, l’éducation et les soins de santé manquent cruellement, la disparition de près d’un milliard de dollars est vécue comme une trahison collective.

« Si cette richesse avait été bien gérée, aucun enfant ne mourrait encore par manque de soins ou de nourriture », souffle une mère de famille rencontrée dans une clinique de Kayanza au nord du Burundi.

Pour de nombreux citoyens, ce scandale n’est pas seulement économique. Il symbolise l’échec de l’État à protéger ses ressources et son peuple.

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Photo : des hommes sur un site d’exploitation d’or dans le nord-ouest du Burundi. Des experts dénoncent une gestion opaque des fonds issus de la vente de minerais © SOS Médias Burundi