Du Burundi au Rwanda : un parcours éprouvant qui met des vies en danger
SOS Médias Burundi
Kobero, 14 juillet 2025 – La fermeture persistante des frontières entre le Burundi et le Rwanda bouleverse profondément la vie de nombreux citoyens, en particulier ceux qui doivent se rendre au Rwanda pour des raisons médicales. Contraints d’emprunter un détour long et risqué via la Tanzanie, certains y laissent la vie, d’autres y perdent espoir.
Depuis la décision des autorités burundaises de fermer les frontières terrestres et maritimes avec le Rwanda en janvier 2024, tout déplacement direct entre les deux pays est formellement interdit. En l’absence de couloirs humanitaires, les patients dans un état critique sont désormais obligés de passer par la Tanzanie pour espérer atteindre Kigali.
Le seul passage encore possible se fait via le poste frontalier de Kobero (nord-est), dans l’ancienne province de Muyinga, avant de traverser plusieurs régions tanzaniennes pour arriver au Rwanda. Ce détour dépasse les 500 kilomètres, contre moins de 300 km en temps normal, lorsque les postes de Ruhwa ou Gasenyi (nord) étaient encore accessibles. Ce trajet rallongé de plusieurs heures — parfois plus de 15 heures de route — constitue un danger majeur pour les malades urgents. Plusieurs témoignages recueillis sur place alertent sur des pertes de vies évitables.
À Kobero, SOS Médias Burundi a rencontré un homme brisé par la douleur. Il rapatriait la dépouille de son épouse, décédée à Kigali alors qu’elle avait été transférée pour des soins spécialisés.
« Le circuit normal via la frontière de Ruhwa ou de Gasenyi serait de moins de 300 kilomètres. Mais en passant par la Tanzanie, nous avons dû faire plus de 500 kilomètres. Ma femme aurait peut-être survécu si on avait eu accès à une route plus courte », a-t-il confié, la voix tremblante.
Il dénonce également les tracasseries administratives et les lourdeurs bureaucratiques qu’il a dû affronter pour faire entrer la dépouille de sa femme au Burundi. Entre autorisations multiples, documents exigés à chaque frontière, et retards dans les formalités, le calvaire ne s’est pas terminé avec le décès.
Outre les conséquences humaines, la fermeture des frontières a également provoqué une explosion des coûts de transport. Avant cette crise, un billet de bus pour relier Bujumbura, la capitale économique du Burundi, à Kigali coûtait environ 60 000 francs burundais. Désormais, les passagers qui souhaitent effectuer ce trajet via la Tanzanie doivent payer jusqu’à 250 000 , principalement à bord de véhicules VOXY, très utilisés dans le transport transfrontalier. Cette flambée des prix rend le voyage quasiment inaccessible pour une grande partie de la population, notamment ceux qui voyagent pour des raisons de santé ou des examens médicaux. Quant à l’option aérienne, elle reste hors de portée pour la majorité des Burundais.
Dans les régions frontalières comme Kirundo, les frustrations sont vives. Les citoyens s’indignent face à ce qu’ils considèrent comme une indifférence des autorités à la souffrance de la population.
« On se sent sacrifiés par les politiciens, comme si nos vies ne comptaient pas », déclare un habitant de Kirundo.
« Nous demandons que les intérêts politiques n’écrasent pas les besoins vitaux des citoyens. »
Des appels à la réouverture immédiate des frontières sont lancés avec insistance, notamment pour des motifs humanitaires.

Les tensions entre le Burundi et le Rwanda ne datent pas d’hier. Depuis 2015, après la tentative de coup d’État manqué contre feu président Pierre Nkurunziza, Gitega accuse Kigali d’avoir soutenu les putschistes et d’héberger des groupes armés hostiles au régime. En réaction, le Burundi avait un temps fermé ses frontières avant une timide reprise des relations en 2022. Mais cette détente fut de courte durée. En janvier 2024, les frontières ont de nouveau été fermées unilatéralement par Gitega, sans explication officielle claire. Depuis, les relations diplomatiques sont restées glaciales.
Plus récemment, le président Évariste Ndayishimiye a ravivé les tensions en accusant publiquement son homologue rwandais, Paul Kagame, d’être le principal déstabilisateur de la sous-région. Il a affirmé que le Rwanda préparait des attaques contre le Burundi, nourrissant les soupçons d’ingérence et de menaces sécuritaires.
La fermeture des frontières, qui dure désormais depuis 18 mois, ne se limite pas à une crise diplomatique. Ce sont les malades, les familles endeuillées, les commerçants et les citoyens ordinaires qui en subissent les conséquences les plus lourdes. Alors que les discours officiels évoquent sécurité nationale et souveraineté, sur le terrain, des vies se brisent, des familles se séparent, et des patients abandonnés meurent sans soins adaptés.
Le conflit entre le Burundi et le Rwanda a pris une dimension tragiquement humaine.
Pour beaucoup, la réouverture des frontières n’est plus un simple souhait politique, mais une urgence vitale.
Derrière chaque trajet rallongé, chaque malade en détresse, chaque cercueil franchissant Kobero, une question résonne :
Jusqu’à quand les populations paieront-elles le prix d’un bras de fer politique ?
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Photo : un parking de bus de transport international desservant les pays voisins du Burundi, au cœur de la ville de Bujumbura © SOS Médias Burundi
