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Karusi : où sont passés les 6 700 élèves disparus ?

SOS Médias Burundi

La situation est alarmante dans l’ancienne province de Karusi, aujourd’hui rattachée à Gitega. Plus de 6 700 élèves ont quitté les bancs de l’école au cours de l’année scolaire 2024-2025, dans un contexte mêlant pauvreté extrême, migration clandestine et soupçons grandissants de trafic d’enfants vers la Tanzanie. Un exode silencieux qui vide les salles de classe et ébranle toute une communauté.

Les données des services éducatifs locaux font état d’une majorité de départs parmi les élèves du cycle fondamental. Dans certaines écoles, le phénomène prend des allures de dépeuplement. Enseignants, parents et autorités locales tirent la sonnette d’alarme.

« Il y a des enfants qu’on voit partir avec des inconnus. On parle d’opportunités, de travail, d’études… Mais ils ne reviennent jamais. On commence à parler de vente d’enfants », confie, inquiet, le directeur d’une école de la commune de Bugenyuzi.

Entre misère et réseaux de traite

Si certaines familles, poussées par la précarité, envoient volontairement leurs enfants en Tanzanie dans l’espoir d’un avenir meilleur, d’autres témoignages laissent penser à une organisation plus sombre : celle d’un trafic d’enfants. Des ONG évoquent désormais une forme d’esclavage moderne, orchestrée sous couvert de promesses d’éducation ou d’emploi.

« Ces enfants sont attirés par de fausses promesses, arrachés à leur scolarité, et réduits à l’exploitation. C’est un trafic humain déguisé. Le pays ne peut plus détourner le regard », dénonce un membre d’une organisation de défense des droits de l’enfant active dans la région.

Les rares enfants ayant pu revenir racontent l’horreur : travail domestique sans rémunération, journées exténuantes dans les champs, maltraitance physique et psychologique.

Une réponse gouvernementale jugée tardive

Alerté, le ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, Professeur François Havyarimana, a reconnu l’ampleur du phénomène lors d’une conférence de presse à Bujumbura.

« Nous sommes pleinement conscients de la gravité de la situation. Des mesures d’urgence sont à l’étude, notamment la mise en place de cantines scolaires et la création de filières professionnelles adaptées au contexte local », a-t-il déclaré.

Un dossier spécial a été ouvert par le ministère, qui annonce une coordination accrue avec d’autres départements gouvernementaux.

D’une province modèle à un territoire en crise

Le choc est d’autant plus brutal que Karusi figurait jusqu’alors parmi les provinces les plus performantes du pays sur le plan scolaire. Les résultats aux examens nationaux y dépassaient régulièrement la moyenne nationale.

« C’est une tragédie. Une province jadis exemplaire se vide de ses élèves. C’est une perte immense pour tout le pays », déplore un inspecteur de l’enseignement basé à Gitega.

Des mesures urgentes exigées

Face à la gravité de la situation, les acteurs éducatifs et humanitaires appellent à une action immédiate et coordonnée. Parmi les recommandations formulées figurent :

  • Une campagne de sensibilisation communautaire sur les risques liés à l’exode scolaire et aux trafics ;
  • Un soutien économique ciblé aux familles vulnérables, pour les dissuader d’envoyer leurs enfants à l’étranger ;
  • La réactivation effective des comités de protection de l’enfance au niveau collinaire ;
  • La mise en place d’accords bilatéraux avec la Tanzanie pour retrouver et rapatrier les enfants disparus.

L’UNICEF, dans un récent communiqué, a exhorté le gouvernement burundais à mettre en œuvre une réponse multisectorielle, urgente et soutenue.

Un test de volonté politique

Pour de nombreux observateurs, le drame de Karusi dépasse le cadre local : il révèle les failles d’un système fragilisé par la pauvreté, le manque de perspectives et l’absence de protection efficace des enfants.

« La question n’est pas seulement où sont passés les enfants, mais que faisons-nous pour les ramener à l’école et leur redonner un avenir ? », interroge un enseignant engagé de la commune de Shombo.

Chaque jour sans action compromet l’avenir d’une génération entière. L’heure n’est plus aux constats, mais à des solutions concrètes.

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Photo : Des élèves dans une salle de classe au Burundi. Dans plusieurs régions, les classes se vident en raison de la pauvreté des ménages. © SOS Médias Burundi