Giharo : polémique autour des notables collinaires sur fond d’ingérence politique et de dérives morales
SOS Médias Burundi
Une vive controverse secoue la commune de Giharo, dans la province de Burunga (anciennement Rutana, au sud-est du Burundi), après l’éviction jugée arbitraire d’un notable collinaire respecté. Boniface Nyandwi, connu pour son intégrité et son engagement communautaire, a été brusquement remplacé le 26 juin 2025 par Anderson Habonimana, un homme vivant en situation de polygamie. Cette décision a suscité l’indignation d’une partie de la population de la colline Kibimba.
D’après plusieurs habitants, cette révocation aurait été orchestrée par Léonard Ruhoranyi, secrétaire local du CNDD-FDD, avec la complicité du chef de colline, Zacharie Batungwanayo. Tous deux auraient affirmé que seules les personnes affiliées au parti au pouvoir pouvaient siéger parmi les notables collinaires.
Une telle posture est dénoncée comme une déviation grave de la mission de ces structures. « Les notables collinaires doivent rassembler, non diviser », insiste un ancien notable, rappelant que leur rôle est d’assurer la médiation et de servir la communauté sans distinction d’appartenance politique.
Une crise morale profonde
Au-delà du soupçon d’ingérence politique, c’est aussi la dimension morale de cette nomination qui scandalise. Anderson Habonimana, désigné pour remplacer Boniface Nyandwi, vit avec deux femmes, en contradiction avec la réglementation nationale. Celle-ci interdit en effet aux responsables locaux — y compris les notables — de vivre en situation de polygamie ou de concubinage, considérée comme attentatoire à la moralité publique.
Pire encore, le président des notables collinaires de Kibimba aurait successivement épousé trois femmes, renvoyant les deux premières. Le chef de colline, quant à lui, serait également polygame. « C’est un paradoxe : ceux qui devraient incarner l’exemplarité sont les premiers à violer les règles qu’ils sont censés faire respecter », déplore un enseignant local.
Pressions politiques sur la justice locale
La contestation ne s’arrête pas là. Plusieurs habitants affirment que les responsables locaux du CNDD-FDD influenceraient également le tribunal de résidence de Giharo pour faire entériner certaines décisions contestées ou pour faire taire les opposants.
« Le président du tribunal est lui-même proche du parti au pouvoir », confie une source locale. Et un habitant de conclure : « Nous ne croyons plus que la justice puisse trancher de manière équitable. Elle est entre les mains des politiques. » Ce climat alimente un sentiment de méfiance et d’abandon grandissant au sein de la population.
Une remise en cause du modèle actuel
Pour de nombreux observateurs, la situation à Kibimba reflète des dysfonctionnements plus larges dans la gouvernance locale au Burundi. Ils appellent à des réformes urgentes visant à garantir l’indépendance des notables collinaires, leur désignation sur des critères transparents et leur respect strict des exigences morales.
La confiance des citoyens dans ces structures s’érode. Beaucoup espèrent que les autorités nationales interviendront pour restaurer la crédibilité des organes de médiation communautaire, essentiels à la cohésion sociale.
La fin discrète des Bashingantahe ?
Cette crise intervient dans un contexte de transformation profonde des institutions locales. Le 26 septembre 2024, 43.650 notables collinaires ont prêté serment à travers le pays, formant un nouveau corps chargé de la médiation, appelé à remplacer progressivement les Bashingantahe, figures traditionnelles de justice et de sagesse en milieu rural.
Ces derniers jouaient depuis l’époque coloniale un rôle central dans la résolution des conflits et jouissaient d’un grand respect. Leur éviction est perçue par certains comme une volonté politique du CNDD-FDD, au pouvoir depuis 2005, qui n’a jamais caché sa méfiance vis-à-vis de cette institution coutumière indépendante.
Des voix critiques dénoncent ce changement comme « politiquement motivé » et avertissent qu’il pourrait contribuer à la disparition de valeurs fondamentales de la société burundaise.
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Photo : Des notables collinaires lors de la gestion d’un conflit au Burundi. © SOS Médias Burundi
