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Burundi – Cinq ans de pouvoir : le président Ndayishimiye célèbre sa « victoire sur l’opposition » lors d’une croisade à Gitega

Le président Évariste Ndayishimiye et son épouse Angeline Ndayishimiye lors d’une messe d’action de grâce à la paroisse Saint François d’Assise de Magarama. Un moment de prière pendant que le pays fait face à de multiples crises © SOS Médias Burundi

SOS Médias Burundi

Cinq ans après son arrivée à la tête du pays, le président Évariste Ndayishimiye a marqué l’anniversaire de son accession au pouvoir par une croisade religieuse à Gitega. L’événement, mêlant ferveur spirituelle et messages politiques, s’est voulu une célébration d’un mandat qu’il juge victorieux face à ses adversaires. Mais dans un contexte de crise économique et de démobilisation populaire, la tonalité triomphante du discours présidentiel contraste avec la réalité du terrain.

Le 20 juin, au stade Ingoma de Gitega, capitale politique du Burundi, le chef de l’État a présidé une croisade de prière pour marquer le cinquième anniversaire de son investiture, survenue en juin 2020 dans un contexte d’urgence après la mort soudaine de Pierre Nkurunziza. L’événement, organisé sous l’égide de la Présidence, a toutefois peiné à mobiliser les foules. L’assistance, majoritairement composée de cadres de l’administration et de militants du CNDD-FDD, a laissé le stade partiellement vide, tranchant avec l’enthousiasme affiché à la tribune.

Messe solennelle et mise en scène du pardon

La journée a commencé par une messe à la paroisse Saint François d’Assise de Magarama, dirigée par Monseigneur Bonaventure Nahimana, archevêque de Gitega. Dans son homélie, il a salué les « avancées enregistrées » durant le quinquennat, tout en appelant à « l’unité, au pardon et à la réconciliation ».

« Toute œuvre humaine a ses failles », a-t-il souligné, exhortant les responsables à reconnaître les erreurs commises et à œuvrer pour un avenir meilleur.

Allusions bibliques et revanche politique

Sur la scène du stade Ingoma, Évariste Ndayishimiye a dressé un parallèle entre son parcours et celui du roi David, évoquant les épreuves traversées durant les cinq premières années de son mandat. Dans un discours au ton vindicatif, il est revenu sur les tentatives de contestation de son autorité après les élections de 2020, évoquant sans les nommer certains opposants qu’il accuse d’avoir voulu l’évincer.

« Quelqu’un m’avait surnommé Adonija, Adonija qui s’était auto-proclamé roi ; un autre, Salomon, pensait pouvoir me détrôner. Mais leurs ambitions se sont révélées vaines », a-t-il lancé, se félicitant d’avoir, selon ses mots, « maîtrisé » l’opposition.

Le président a également salué la longévité du CNDD-FDD, au pouvoir depuis 2005, assurant que les Burundais — Hutu, Tutsi et Twa — avaient renouvelé leur confiance lors des élections législatives du 5 juin dernier, que l’opposition continue de contester.

Il en a profité pour dénoncer les « divisions artificielles » issues de la colonisation et s’est présenté comme l’artisan d’unité nationale, tout en omettant d’aborder les sujets brûlants du moment.

Une économie en crise, grande absente du discours

Malgré les difficultés économiques majeures que traverse le pays, le chef de l’État n’a pas mentionné les pénuries de carburant, le manque criant de devises, ni la rareté du sucre, des boissons et autres produits de première nécessité. Ce silence a été perçu par de nombreux observateurs comme un décalage inquiétant avec la réalité vécue par la population.

Mobilisation institutionnelle, désaffection populaire

La faible affluence observée au stade Ingoma, en dépit de la mise en scène et de la logistique mobilisées, interroge sur la popularité réelle du président. Loin des bains de foule d’antan, la présence limitée du public laisse entrevoir une démobilisation croissante, même au sein des partisans traditionnels du pouvoir.

Cinq temps forts du quinquennat Ndayishimiye (2020–2025)

  1. Une investiture précipitée (juin 2020)
    Suite au décès soudain de Pierre Nkurunziza, Ndayishimiye est investi président dans un climat d’urgence, sans réelle période de transition.
  2. Une croisade anticorruption aux résultats mitigés (2021)
    Le président lance une campagne de moralisation de la vie publique. Si des arrestations spectaculaires sont enregistrées, leur portée reste limitée.
  3. Une gestion plus ouverte de la pandémie de Covid-19
    En rupture avec la posture de déni de son prédécesseur, Ndayishimiye reconnaît l’existence du virus et encourage les mesures de prévention.
  4. Un tournant autoritaire face à l’opposition (2022–2024)
    Arrestations de membres du CNL, fermetures de médias et répression des voix dissidentes marquent une nette fermeture de l’espace politique.
  5. Élections du 5 juin 2025 : victoire totale du CNDD-FDD
    Le parti présidentiel rafle tous les sièges à l’Assemblée nationale dans un scrutin jugé fermé et non compétitif par l’opposition et plusieurs observateurs.

Malgré une mise en scène visant à présenter un chef d’État fort et victorieux, le bilan des cinq premières années d’Évariste Ndayishimiye reste sujet à controverse. Entre promesses non tenues, raidissement politique et dégradation économique, de nombreux Burundais peinent à voir dans cette commémoration un motif de fierté. Pour nombre d’analystes, ce quinquennat pourrait bien rester comme une occasion manquée.

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Photo : le président Évariste Ndayishimiye et son épouse Angeline Ndayishimiye lors d’une messe d’action de grâce à la paroisse Saint François d’Assise de Magarama. Un moment de prière pendant que le pays fait face à de multiples crises © SOS Médias Burundi