Mahama (Rwanda) : des réfugiés congolais rentrent discrètement en RDC, en dehors de tout cadre officiel
SOS Médias Burundi
Depuis que les mouvements armés M23 et l’Alliance Fleuve Congo (AFC) ont pris le contrôle des principaux centres urbains du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, un phénomène discret mais soutenu s’observe au camp de réfugiés de Mahama, au Rwanda : de nombreux Congolais rentrent au pays, de façon informelle, souvent de nuit, sans encadrement du HCR ni du ministère rwandais en charge des réfugiés (Minema). Une enquête sur place révèle les contours d’un exode inversé, silencieux mais significatif.
Le jeudi 22 mai, vers 21 heures, huit bus de la compagnie Ritco ont été aperçus stationnés à Kabeza, tout près du camp de Mahama, au nord-est du Rwanda. Ces véhicules, pouvant accueillir chacun jusqu’à 60 passagers, étaient manifestement affrétés pour transporter des réfugiés.
« Il s’agit de Congolais. Ils arrivent avec des valises, des sacs, des matelas… Ils montent rapidement à bord avant que les bus ne démarrent en trombe », témoigne une source locale.
Deux camions Fuso remplis de bagages suivaient le convoi, escortés par des véhicules civils à bord desquels se trouvaient, selon cette même source, des policiers rwandais en tenue civile.
Aucun agent du HCR ni du Minema n’était visible durant ces opérations nocturnes. Contrairement aux retours organisés pour les réfugiés burundais, aucun passage par les centres officiels de rapatriement n’a été observé.
Des départs à répétition à l’aube
Dès l’aube suivante, aux environs de 5 heures, un mouvement similaire s’est reproduit.
« Une foule nombreuse quittait le camp, encadrée par des policiers jusqu’à Kabeza. Il faisait encore nuit », rapporte notre source.
Les personnes concernées seraient majoritairement originaires de zones actuellement sous contrôle du M23.
« Certains laissent tout derrière eux. Entre amis, nous récupérons ce qu’ils abandonnent. Ceux avec qui nous prions nous demandent de prier pour eux », témoigne un réfugié burundais du camp.
« D’autres quittent leur travail ou mettent fin à leur volontariat dans des ONG pour rentrer clandestinement », ajoute-t-il.
Des congés pour dissimuler un départ définitif
Pour obtenir l’autorisation de quitter temporairement le camp, certains réfugiés congolais évoquent des raisons familiales ou sanitaires.
« Ils parlent de funérailles, de visites à Goma ou Masisi. Mais tout le monde sait qu’ils ne reviendront pas », affirment plusieurs employés administratifs du camp.
Des villages désertés
Les départs concernent particulièrement les villages 3, 4, 5, 6, 13, 16, 17 et 18 du camp, tous situés le long de la rivière Akagera.
« Plus de 80 % des Congolais de ces villages sont déjà partis. Dans certains ménages, seule une personne reste, souvent pour gérer un dossier de réinstallation ou parce qu’un enfant est encore scolarisé », explique une source proche des résidents.

Un réfugié congolais du camp de Mahama tient le drapeau national de la RDC lors d’une manifestation à Kirehe, à l’est du Rwanda, le 6 mars 2024. Le rassemblement dénonçait les exactions commises contre les Tutsis, les Banyamulenge et les Hema dans l’est du Congo DR
Un profil révélateur des partants
La majorité des personnes qui quittent aujourd’hui le camp sont des femmes, des enfants ou des personnes âgées. Les jeunes hommes et adolescentes, eux, seraient partis bien plus tôt.
« Ils ont rejoint les rangs du M23. Certains reviennent occasionnellement pour laver leurs uniformes militaires congolais, qu’ils font sécher sans aucune gêne », rapporte une source burundaise du camp.
Une organisation parallèle à l’œuvre
Derrière ces départs se cache un réseau de « mobilisateurs politiques » congolais, tolérés mais non reconnus officiellement.
« Ils organisent des réunions nocturnes pour collecter de l’argent et enregistrer ceux qui veulent rentrer. Ils promettent un appui financier une fois au pays », confie un réfugié ayant assisté à plusieurs de ces réunions.
Un phénomène difficile à quantifier
Le nombre exact de réfugiés ayant quitté le camp reste inconnu, mais plusieurs témoignages convergent.
« En une semaine, on estime à plus de mille ceux qui ont pris la route, rien qu’à observer le nombre de bus et de camions mobilisés », indique une source impliquée dans le suivi de ces mouvements.
Ni le HCR ni le Minema n’ont, à ce jour, commenté officiellement la situation.
Le rôle du M23 et de l’AFC
Le M23, ancienne rébellion tutsie relancée fin 2021, reproche au gouvernement congolais le non-respect des accords de réintégration de ses combattants. Depuis janvier 2025, ses troupes, appuyées par l’Alliance Fleuve Congo (AFC), contrôlent les principales villes des deux provinces du Kivu. La coalition assure que la région est désormais pacifiée et appelle les réfugiés à rentrer pour « reconstruire le pays ».
« Certains réfugiés, souvent sous l’emprise de l’alcool, nous disent qu’ils répondent à l’appel de leurs ‘vaillants enfants’ qui ont libéré la patrie. Cela en dit long sur leur état d’esprit », confie un leader communautaire du camp.
Des conditions de vie précaires comme facteur déclencheur
Au-delà des considérations politiques, la vie au camp de Mahama est devenue de plus en plus difficile pour de nombreux réfugiés.
« Les rations alimentaires ont été réduites de moitié. Il y a la faim, l’inflation, le banditisme… Tout cela pousse certains à tenter leur chance ailleurs. Les Congolais peuvent au moins rentrer. Les Burundais, eux, risquent de ne plus avoir d’issue », alerte un responsable burundais du camp.
Le camp de Mahama, le plus grand du Rwanda, abrite actuellement plus de 76 000 réfugiés, dont plus de 40 000 Burundais.
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Photo : Des réfugiés congolais du camp de Mahama lors d’un rassemblement. Plusieurs d’entre eux se préparent à rentrer discrètement dans l’est de la RDC, désormais en grande partie contrôlé par le M23 et la coalition politico-militaire AFC à laquelle il est affilié © SOS Médias Burundi
