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Gitega : enchaînement de morts suspectes et montée de la justice populaire, la province au bord du gouffre

SOS Médias Burundi

La province de Gitega, au centre du Burundi, est secouée par une série d’événements tragiques. Entre cadavres retrouvés dans des circonstances troublantes et actes de justice populaire, la peur s’installe sur les collines et dans les quartiers de cette capitale politique. La défiance envers le système judiciaire pousse certains habitants à faire justice eux-mêmes, au risque d’alimenter une spirale de violence difficile à enrayer.

En l’espace de trois jours, deux morts violentes ont été signalées à Karera 2 et à Masango. Des drames qui ravivent les tensions dans une région déjà fragilisée par l’insécurité. Pour les défenseurs des droits humains, il y a urgence à agir.

Masango : un père de famille retrouvé pendu dans des circonstances suspectes

Le dimanche 8 juin, sur la colline de Masango, commune de Mutaho, le corps de Jean Maniratunga, âgé de 36 ans, marié et père de trois enfants, a été découvert pendu à une corde dans sa maison aux alentours de 17h40.

Si la version officielle évoque un suicide, cette hypothèse est largement remise en question par les habitants. Plusieurs témoins affirment que le corps aurait été déplacé : initialement à l’intérieur, il aurait ensuite été retrouvé devant la maison, ce qui laisse planer de sérieux doutes sur la scène présumée du drame.

« Tout semble indiquer qu’il aurait pu être tué ailleurs, puis ramené ici pour faire croire à un suicide », confie un habitant, sous anonymat.

Alertée, la police de Mutaho s’est rendue sur les lieux pour procéder aux premières constatations. Le corps a été transféré à la morgue de l’hôpital communal pour autopsie. À ce stade, aucun suspect n’a été arrêté et l’enquête suit son cours.

Karera 2 : lynchage mortel d’un homme accusé de vol

Deux jours plus tôt, le vendredi 6 juin, un autre drame a secoué le quartier de Karera 2, en plein centre-ville de Gitega. Le corps sans vie d’un homme non identifié a été retrouvé après avoir été violemment lynché par des habitants, qui l’accusaient d’avoir commis un vol.

Selon les premiers témoignages, la victime aurait été ligotée à l’aide d’une corde puis rouée de coups avec des gourdins jusqu’à succomber à ses blessures. Elle aurait été soupçonnée d’appartenir à un groupe de malfaiteurs ayant cambriolé une maison du quartier.

La police de Gitega, contactée par SOS Médias Burundi, a confirmé les faits. Le corps a été transporté à la morgue de l’hôpital régional. Une enquête a été ouverte, mais les auteurs de ce lynchage n’ont, pour l’heure, pas été identifiés.

Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Le 22 mai dernier, le corps d’Aboubakar Nsengiyumva, 32 ans, avait été retrouvé dans une vallée séparant les quartiers Karera 1 et Karera 2. Lui aussi avait été accusé de vol avant d’être retrouvé mort, dans des circonstances similaires.

Un climat de défiance et d’impunité

Ces événements illustrent un malaise profond : la multiplication des actes de justice populaire témoigne d’une perte de confiance inquiétante envers les institutions judiciaires et sécuritaires. Pour certains citoyens, livrés à eux-mêmes, la loi semble ne plus offrir ni protection ni justice.

Les organisations de défense des droits humains dénoncent ces pratiques extrajudiciaires et tirent la sonnette d’alarme. Elles appellent les autorités à renforcer les dispositifs de sécurité dans les communautés et à accélérer les enquêtes afin que les auteurs de ces violences soient traduits en justice.

« Le recours à la justice populaire est un symptôme alarmant de la faillite des mécanismes officiels de sécurité et de justice », alerte un militant des droits humains basé à Gitega.

De leur côté, plusieurs habitants disent comprendre, voire justifier ces actes, par désespoir ou lassitude. Mais pour les observateurs avertis, seule une restauration effective de l’État de droit et de la confiance dans les institutions pourra mettre fin à cette escalade.

Vers un enchaînement incontrôlable ?

Si aucune réponse claire n’est apportée par les autorités, le risque est grand de voir la violence s’enraciner dans le quotidien des habitants de Gitega. Entre règlements de comptes déguisés en suicides et exécutions sommaires de présumés voleurs, le tissu social menace de se déchirer.

La province, jadis relativement paisible, semble aujourd’hui glisser vers une normalisation de la brutalité. Une évolution que beaucoup redoutent, et que seul un sursaut de l’État pourrait encore enrayer.

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Photo : Des habitants dans un centre commercial de Gitega © SOS Médias Burundi