Élections du 5 juin : calme en surface, déséquilibres profonds au profit du CNDD-FDD dans le nord et le centre du Burundi

SOS Médias Burundi
Présentées comme paisibles et bien organisées, les élections législatives et communales du 5 juin 2025 ont en réalité été marquées par un manque de concurrence, de nombreuses irrégularités et des pressions sur les électeurs. Derrière la façade d’un scrutin ordonné, se dessine un paysage politique verrouillé où le CNDD-FDD consolide sans surprise sa domination.
Gitega/Kirundo/Ngozi/Karusi – Les élections communales et législatives organisées ce jeudi 5 juin dans les provinces de Kirundo, Ngozi, Gitega et Karusi se sont déroulées dans un calme apparent. Mais derrière cette façade paisible, de nombreuses irrégularités, pressions et défaillances organisationnelles ont marqué le scrutin, consolidant la mainmise du CNDD-FDD dans une élection sans véritable enjeu démocratique.
Une victoire écrasante mais attendue du CNDD-FDD
À Gitega comme dans les autres provinces du centre, les opérations de vote ont débuté tôt, dès 6h25 dans les neuf communes concernées, et se sont poursuivies jusqu’à 16h dans une ambiance relativement sereine. Selon les premières tendances, le parti au pouvoir aurait remporté plus de 80 % des voix dans de nombreux bureaux.
Malgré une mobilisation visible de ses sympathisants, le CNDD-FDD faisait face à peu de concurrence. Les partis d’opposition tels que l’UPRONA, le CNL ou la coalition Burundi Bwa Bose étaient présents de manière sporadique. Quant à une dizaine d’autres formations – notamment le RADES, le RADEBU, le RANAC, le PMP ou l’UPD-Zigamibanga – elles étaient tout simplement absentes du processus électoral.
Des dysfonctionnements ont été signalés tout au long de la journée : cas de vote multiple, électeurs en possession de plusieurs cartes, absence de coordination entre les membres de certains bureaux de vote. Autant d’anomalies qui jettent un doute sérieux sur la transparence et la régularité du scrutin.
Un contexte de verrouillage politique
Ce scrutin s’est tenu dans un climat politique déjà verrouillé, notamment après l’exclusion du principal opposant hutu, Agathon Rwasa – une éviction vivement dénoncée par la société civile et les organisations de défense des droits humains. La compétition électorale s’en est trouvée d’autant plus déséquilibrée.
Pressions et incidents dans le nord du pays
En province de Kirundo, un homme d’une cinquantaine d’années a été arrêté pour avoir déchiré un insigne du CNDD-FDD. Le procureur a annoncé une procédure de flagrance, illustrant la tolérance zéro à l’égard de toute atteinte symbolique au parti au pouvoir. Dans les communes de Busoni et Bwambarangwe, seuls les représentants du CNDD-FDD, de l’UPRONA et de l’Église catholique étaient accrédités, suscitant des interrogations sur l’équité du processus.
À Ngozi, une militante de l’UPRONA a été arrêtée après avoir filmé l’intérieur d’un bureau de vote, un acte interdit par la Commission électorale (CENI). Par ailleurs, plusieurs journalistes ont été empêchés de travailler, malgré leurs accréditations en règle.
À Gitega, des tensions ont été signalées dans les quartiers de Magarama et Yoba, où certains électeurs ont déclaré avoir reçu des menaces de la part de chefs de colline affiliés au CNDD-FDD. Des coups de sifflet, souvent associés aux Imbonerakure – la ligue des jeunes du parti au pouvoir – ont été entendus à proximité de plusieurs centres de vote, accentuant l’atmosphère de méfiance.
En province de Karusi, les irrégularités ont été plus discrètes, mais bien présentes. Dans les communes de Nyabikere et Shombo, des jeunes proches du CNDD-FDD ont orienté des électeurs âgés vers l’urne, leur indiquant où apposer leur empreinte digitale. Certains votants n’avaient reçu aucune consigne claire sur le déroulement du vote.
Désinformation et confusion parmi les électeurs
Des scènes étonnantes ont été rapportées, notamment à Kirundo, où des électeurs ont célébré leur vote après avoir apposé leur doigt sur la photo… du président – alors que seuls les insignes des partis figuraient sur les bulletins. Une confusion révélatrice d’une mauvaise compréhension du processus électoral, en particulier chez les personnes âgées.
Dans certaines collines, des témoignages évoquent une mobilisation forcée dès les premières heures de la matinée. Des habitants affirment avoir été contraints de se rendre aux urnes.
Autre difficulté notable : dans les zones frontalières du nord, plusieurs citoyens n’avaient accès qu’aux stations radio rwandaises, en raison de l’absence de couverture des médias burundais. Ce manque d’accès à l’information nationale a privé une partie de la population d’une information électorale fiable et équilibrée.
Une démocratie de façade
En dépit de la mobilisation visible dans certains bureaux et de l’apparente tranquillité du déroulement des opérations, les élections du 5 juin confirment un diagnostic largement partagé : l’absence de véritable compétition politique, l’omniprésence du CNDD-FDD, des pressions ciblées et des irrégularités récurrentes.
Pour nombre d’observateurs, ce scrutin ne fut qu’un exercice formel, destiné à renforcer l’image de légitimité du parti au pouvoir.
Il appartient désormais aux autorités et à la communauté nationale de tirer les leçons de ces défaillances. Car sans transparence, sans pluralisme effectif et sans égalité d’accès à l’information, la démocratie burundaise reste, plus que jamais, à reconstruire.
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Photo : Des électeurs en attente de voter pour leurs conseillers communaux et parlementaires dans une zone où l’opposition a signalé de nombreuses irrégularités, le 5 juin 2025 © SOS Médias Burundi