Goma : l’état de siège divise dans le Nord-Kivu et en Ituri

Du 22 au 24 novembre dernier, la première ministre congolaise Judith Suminwa, s’était rendue dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri dans le cadre de l’évaluation de l’état de siège en vigueur depuis mai 2021. La question divise dans les deux provinces de l’est du vaste pays de l’Afrique centrale, plongées dans l’insécurité depuis trois décennies. Les doléances de différents groupes seront analysés par la commission « défense et sécurité » du gouvernement congolais avant qu’un rapport définitif ne soit présenté au président Tshisekedi pour des solutions appropriées. (SOS Médias Burundi)
À son arrivée dans la ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu le 22 novembre dernier, la première ministre congolaise Judith Suminwa a été accueillie par des manifestations hostiles à l’état de siège.
« Nous voulons voir les autorités civiles reprendre leurs fonctions comme c’était le cas avant l’instauration de l’état de siège », criaient plusieurs civils, pancartes à la main. Mais une autre partie a estimé que l’état de siège devrait être maintenu pour « permettre le bon déroulement des opérations militaires ».
D’après certains opposants comme Wilson Twitegure, cadre du parti « Ensemble pour la République » de l’opposant Moïse Katumbi, l’état de siège doit être levé.
« Je m’oppose au maintien de l’état de siège…Depuis que cette mesure a été décrétée il y a de cela 3 ans, l’ennemi continue de récupérer des espaces dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Walikale. Contrairement à nos espoirs de voir l’armée chasser l’agresseur, c’est l’inverse qu’on observe sur terrain », dit M.Twitegure qui demande au gouvernement congolais de lever cette mesure « qui ne fait que multiplier les malheurs des Congolais ».
Mais des groupes de jeunes trouvent que le maintien de l’état de siège est nécessaire. Ils pensent que cela aiderait les FARDC à « poursuivre leurs opérations contre les groupes armés sans entrave ».
« Les rebelles ne cessent de récupérer des zones. Nous demandons à ce que le gouvernement maintienne un militaire à la tête de la province avec un civil comme gouverneur adjoint. Le gouverneur se chargerait de toutes les questions sécuritaires au moment où le vice- gouverneur s’occuperait de l’administration », dit Baudouin Ntasugi de la Dynamique des jeunes pour le développement durable de Masisi.
Judith Suminwa a clôturé sa tournée sur l’évaluation de l’état de siège dans la province de l’Ituri. Elle a annoncé à la presse que les doléances et recommandations de différents groupes seront analysées par la commission « défense et sécurité » du gouvernement congolais avant qu’un rapport définitif ne soit présenté au chef de l’État, Félix Tshisekedi.
« […] C’était très important de pouvoir faire ces consultations, surtout d’écouter les gens. Maintenant que nous avons fait cela, nous rentrons à Kinshasa…Et nous allons faire des recommandations qui seront soumises au chef de l’État », a déclaré Madame Suminwa depuis Bunia, chef-lieu de l’Ituri.
Selon des participants à ces consultations, la levée de l’état de siège a été l’unique recommandation de presque toutes les forces vives et des députés provinciaux de l’Ituri.
« Le nombre de morts et de milices a augmenté pendant cette période de l’état de siège tout comme le degré de violence. Même les déplacés de guerre installés dans des sites ont été victimes des attaques des milices locales et étrangères. Nous déplorons des centaines de morts dans les camps de déplacés seulement. Ce qui n’était pas le cas avant la mise en place de cette mesure », a regretté Pellet Kaswara, rapporteur de l’Assemblée provinciale.
Toutefois, le Caucus des chefs coutumiers locaux trouve que « l’état de siège doit rester en vigueur jusqu’au désarmement des milices ».
« Le gouvernement doit plutôt renforcer l’effectif des militaires et accélérer le processus de désarmement et démobilisation en vue de consolider la paix et préserver les acquis de l’état de siège », selon Kataloho Takumara, porte-parole des autorités traditionnelles de l’Ituri. Il affirme que la mesure a permis la pacification d’une grande partie de la province.

Le 25 novembre dernier, l’Assemblée nationale a autorisé une nouvelle prorogation de l’état de siège dans les deux provinces de l’est du vaste pays de l’Afrique centrale, malgré le bilan négatif dressé par les députés nationaux élus dans les circonscriptions de ces deux régions très riches en minerais.
« L’état de siège a montré ses limites. Cette mesure n’a plus de raison d’être. La gestion des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu doit être confiée aux civils pour que les militaires se concentrent sur les opérations militaires seulement », ont souhaité plusieurs élus issus des deux provinces.
Depuis mai 2021, l’action des juridictions civiles est substituée par celle des juridictions militaires. En instaurant l’état de siège, le président congolais Félix Tshisekedi s’était engagé à « trouver une solution à la situation inacceptable de l’Est ».
Les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sont en proie à des attaques répétitives d’une centaine de groupes armés locaux et étrangers dont les ADF (Forces démocratiques Alliées) d’origine ougandaise aux pratiques islamistes et les génocidaires Hutus-FDLR ( Forces démocratiques de libération du Rwanda). C’est aussi dans cette partie du Congo que se retrouve le principal groupe armé congolais-le M23 qui a récupéré plusieurs zones du Nord-Kivu depuis mi juin 2022 dont la cité de Bunagana, frontalière avec l’Ouganda où il a installé son quartier général. Les autorités congolaises accusent le Rwanda de soutenir cette rébellion Tutsi, ce que le gouvernement rwandais ne cesse de balayer d’un revers de la main.
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Photo : l’arrivée de la Première ministre Judith Suminwa, samedi 23 novembre 2024, à Bunia (Ituri). Radio Okapi/Ph. Isaac Remo