Burundi-Élections : s’enrôler ou perdre tous ses droits
L’enrôlement aux élections pose toujours problème. Plusieurs résidents ont été empêchés d’accéder aux marchés durant le week-end dans plusieurs provinces du Burundi avant d’exhiber le récépissé attestant qu’ils se sont fait enrôler pour les élections de 2025.Certains administratifs dans les provinces du nord-ouest ont reconnu les faits. Ils disent vouloir inciter les gens à participer à ce scrutin qu’ils jugent très important et qualifient comme « un devoir civique que l’on doit accomplir ».Le ministère en charge de l’éducation a sorti un communiqué avisant les directeurs d’écoles à faciliter l’enregistrement des enseignants et des élèves en âge de voter. (SOS Médias Burundi)
Dans toutes les 18 provinces du Burundi, des reporters SOS Médias Burundi ont constaté une faible participation à l’enregistrement des électeurs pour le scrutin de l’an prochain.
« Dans plusieurs centres d’enregistrement, les agents en charge de l’enrôlement passent des journées entières assis dans des salles ou des cours à somnoler. Ils reçoivent très peu de gens qui viennent s’inscrire », ont remarqué des reporters SOS Médias Burundi.
Fermeture des marchés pour contraindre la population de se faire enrôler
Au chef-lieu de la province de Gitega (capitale politique) dans le centre du Burundi, les habitants ont été forcés à aller se faire enregistrer durant le week-end. Cela a commencé par la fermeture du marché central moderne samedi après-midi. Selon des témoins, plusieurs Imbonerakure (membres de la ligue des jeunes du CNDD-FDD), administratifs locaux et policiers avaient été mobilisés pour cette fin. Ils ont procédé à la fermeture du marché vers 16h.
« Pire encore, personne n’était autorisé à se déplacer sans exhiber le récépissé attestant qu’il s’est fait enregistrer pour les élections. Des Imbonerakure étaient postés partout ce dimanche. Même avant de monter sur un taxi-moto, on devrait montrer ce récépissé », a témoigné un activiste local à SOS Médias Burundi. Pour lui, « les autorités burundaises ont dépassé les limites ».

Dans le chef-lieu de Bubanza, à l’ouest du Burundi, l’accès au marché central de province était conditionné par l’attestation d’enrôlement aux élections ce dimanche. Tout le monde était concerné, les clients tout comme les vendeurs. Parmi ces derniers, il y en a qui viennent des coins les plus reculés. Ils ont été obligés de retourner à la maison pour chercher le récépissé attestant qu’ils se sont fait enrôler ou se faire enregistrer sur place.
« Des Imbonerakure et policiers étaient postés à chaque entrée du marché. Le contrôle était plus que rigoureux », ont temoigné à SOS Médias Burundi des personnes qui ont été victimes de cette vérification.
L’administration communale de Bubanza a sorti un communiqué qu’il a envoyé à toutes les églises. Il a été lu ce dimanche pendant la messe. En plus, une camionnette de l’administration communale a été réquisitionnée. Un individu à bord de ce véhicule a sillonné toutes les rues du chef-lieu de province et ses environs. Il avait un mégaphone. Le message était clair.
« Les rendez-vous chez le gouverneur, l’administrateur communal ou encore l’OPJ (Officier de police judiciaire) seront déterminés par l’attestation d’enrôlement aux élections », a-t-il prévenu. Et de répéter « Vous avez vu ce qui s’est passé ce matin au marché, il en sera de même pour tous ceux qui ne vont pas se conformer à cette obligation du gouvernement ».
Plusieurs résidents disent avoir été intimidés et injuriés par les Imbonerakure à Bubanza.
« Vous êtes des incrédules. Vous attendez toujours que le gouvernement vous contraint d’accomplir votre devoir civique », ont lancé des Imbonerakure à des résidents qui se sont retrouvés au marché de Bubanza sans récépissé attestant qu’ils se sont fait enrôler pour les élections de l’an prochain. Un militant d’un parti politique d’opposition a estimé que « nous n’avons pas d’engouement pour cette opération car l’environnement politique est verrouillé. Les résultats sont déjà connus à l’avance. Inutile alors de perdre du temps ».
En province de Cibitoke (nord-ouest), la même situation s’est manifestée dans les communes de Buganda et Rugombo. L’administration a fait appel à des Imbonerakure aussi pour empêcher les résidents d’accéder aux marchés. Selon des témoins, plusieurs habitants des régions montagneuses qui viennent des localités très éloignées pour se rendre dans la plaine pour vendre ou acheter des marchandises, ont été chassés par les Imbonerakure sous l’œil complice de la police pour la simple raison de n’avoir pas montré leur récépissé. Des Imbonerakure ont dit que « nous avons été mandatés par les autorités communales ».
Les administrateurs de Rugombo et Buganda ont reconnu les faits. Contactés à ce propos, ils ont expliqué qu’ils ont voulu « inciter la population à se faire enregistrer ».

Le ministère en charge de l’éducation a sorti un communiqué vendredi dernier, avisant les directeurs d’écoles à faciliter l’enregistrement des enseignants et des élèves en âge de voter. Dans plusieurs provinces, les responsables scolaires ont déjà instruit les directeurs des établissements à « ne laisser aucun enseignant prester avant de montrer son récépissé attestant qu’il s’est fait enregistrer ». Seuls les enseignants étrangers seront exemptés.
Et depuis la semaine dernière, dans beaucoup de provinces surtout dans le sud-ouest du pays, les responsables scolaires ont demandé aux élèves de payer entre 500 et 1000 francs burundais pour avoir la carte d’identité, sans laquelle l’on ne peut pas participer à l’opération d’enrôlement des électeurs.
L’enregistrement des électeurs a débuté le 22 octobre dernier au Burundi. Vendredi dernier, le président de la CENI Prosper Ntahorwamiye a annoncé qu’au moins 1742 111 personnes s’étaient déjà fait inscrire sur un total de 6 millions d’électeurs,selon les prévisions de la Commission électorale, soit 29% de la population électorale.
M. Ntahorwamiye a rappelé que le gouvernement a le droit et le devoir d’obliger sa population à aller s’enrôler pour participer aux élections.
Selon le calendrier électoral, les législatives et l’élection des conseillers communaux auront lieu le 5 juin 2025, les sénatoriales se dérouleront le 23 juillet au moment où l’élection des conseillers collinaires aura lieu deux jours plus tard.
Les enjeux sont importants pour ces élections organisées pour la première fois séparément de la présidentielle prévue en 2027 et tenant compte du nouveau découpage administratif qui a conduit à la réduction des provinces de 18 à 5 et des communes de 119 à 42 seulement.
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Photo : un agent de la PNB (Police nationale du Burundi) procède à la vérification des récépissés avant de laisser les gens accéder au marché de Bubanza, le 27 octobre 2024 © SOS Médias Burundi
