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Burundi : l’ONU tire la sonnette d’alarme sur la situation des droits de l’homme à la veille des législatives de 2025

Le rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi déclare que les droits humains sont en péril à la veille des élections de 2025. Dans son nouveau rapport, il dénonce un rétrécissement inquiétant de l’espace civique, la persistance de l’impunité et la militarisation de la société ou encore des élections sous haute tension. (SOS Médias Burundi)

Le nouveau rapport critique sur les droits humains au Burundi date de juillet dernier mais n’avait pas encore été rendu public. La raison est qu’il sera dévoilé et présenté lors de la 57e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, prévue du 9 septembre au 11 octobre 2024 à Genève.

Fortuné Gaétan Zongo met en lumière une restriction sévère de l’espace civique, au détriment des libertés d’expression, d’association et de réunion.

« L’espace civique au Burundi se rétrécit à vue d’œil, laissant peu de place à la diversité d’opinion ou à l’expression politique », déclare le diplomate onusien. “Les arrestations arbitraires de journalistes, les intimidations à l’encontre des défenseurs des droits humains, ainsi que la répression systématique des partis d’opposition sont autant de violations qui alimentent un climat de peur”, ajoute M. Zongo.

Selon le rapport, le principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL), et ses dirigeants, notamment Agathon Rwasa, son leader traditionnel, font constamment objet de manœuvres politiques et judiciaires visant à affaiblir leur influence en amont des élections de 2025.

Un agent de la Brigade anti-émeute citée dans les exactions devant une maison d’habitation suspectée d’abriter des jeunes civils armés dans la ville commerciale Bujumbura © SOS Médias Burundi

Pour le rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi, la persistance de l’impunité et la militarisation de la société suscitent de vives inquiétudes car, dit-il, il s’agit de l’impunité persistante dont jouissent les auteurs de violations graves des droits de l’homme, en particulier depuis la crise politique de 2015.

« Aucun responsable proche du régime n’a été poursuivi pour les crimes commis, et l’appareil judiciaire, fortement politisé, n’a initié aucune enquête sérieuse », déplore le rapporteur spécial.

“Cette impunité est aggravée par l’inaction de l’État à démobiliser les Imbonerakure, une milice affiliée au parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Les Imbonerakure bénéficient d’une protection de l’État et continuent à intimider, harceler et parfois torturer les citoyens dissidents », fait-il remarquer.

« La militarisation de cette milice et son rôle central dans les violences pré-électorales laissent présager un risque accru de violences lors des élections de 2025”, indexe le diplomate d’origine Burkinabè.

Des élections sous haute tension en 2025

Le rapport met en garde contre les risques de violences lors des élections législatives et municipales prévues en 2025.

« Les tensions politiques exacerbées, l’absence de réformes électorales inclusives et la manipulation des institutions judiciaires sont autant de facteurs qui pourraient déclencher une crise post-électorale grave », prévient Fortuné Gaétan Zongo.

L’adoption d’un nouveau code électoral en 2024, augmentant les coûts de dépôt de candidatures et imposant des restrictions supplémentaires aux candidats indépendants, est perçue comme une tentative de verrouiller le processus démocratique au profit du parti au pouvoir, estime-t-il dans ce rapport.

Des Imbonerakure en parade militaire en marge de la célébration de la 8ème édition de la journée dédiée aux membres de la ligue des jeunes du CNDD-FDD qualifiée de milice par le rapporteur spécial onusien sur le Burundi, août 2024 © SOS Médias Burundi

En outre, mentionne-t-il, « l’opposition subit des pressions incessantes, comme en témoigne le sort d’Agathon Rwasa, dont le parti, le CNL, a été infiltré et divisé par des actions soutenues par l’administration. La division et l’affaiblissement de l’opposition ne font que renforcer l’emprise du pouvoir sur le processus politique, compromettant ainsi toute perspective d’élections crédibles et transparentes ».

L’ONU n’oublie pas de parler de la crise socio-économique sans précédent.

« Le Burundi est plongé dans une crise économique profonde, exacerbée par une inflation à deux chiffres (26,3 %), des pénuries de carburant, d’eau et de produits de première nécessité, et une dépréciation sévère de la monnaie nationale », analyse le rapporteur spécial onusien sur le Burundi. « Plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et les perspectives économiques sont sombres ».

Ce contexte économique difficile, dit-il, aggrave la situation des droits humains, augmentant les vulnérabilités sociales et nourrissant les frustrations populaires.

Fortuné Gaétan Zongo indique que la corruption endémique dans l’administration publique et les secteurs stratégiques, tels que les marchés publics et l’exploitation des ressources naturelles, alourdit encore les difficultés.

«Très peu de responsables impliqués dans des détournements de fonds publics ont été inquiétés par la justice ». Ce manque de redevabilité, selon lui, accentue la défiance des Burundais envers leurs institutions.

Des risques sécuritaires et la montée des groupes armés

Le rapport couvre la période d’une année depuis septembre dernier. Durant cette période, « plusieurs attaques meurtrières menées par le groupe Red-Tabara ont été répertoriées, notamment contre des civils et des infrastructures publiques, ce qui exacerbe la tension politique et sociale dans le pays. La sécurité intérieure reste volatile », décrit le diplomate onusien.

Des jeunes filles participent dans un défilé aux côtés des Imbonerakure lors de la 8ème édition de la journée dédiée aux Imbonerakure, Bujumbura, le 31 août 2024 © SOS Médias Burundi

Le gouvernement burundais, en réponse, note-t-il, « a intensifié ses opérations militaires, mais ces mesures répressives ont souvent ciblé la population civile et exacerbé les violations des droits de l’homme ».

« Les mesures de sécurité adoptées par l’État burundais, telles que la fermeture de lieux publics ou l’arrestation de supposés opposants, participent à un climat d’intimidation généralisée », observe M. Zongo.

Pour conclure, le document du rapporteur spécial note que la situation des droits de l’homme au Burundi continue de se détériorer, et le pays pourrait connaître une nouvelle période de violences autour des élections de 2025 si aucune mesure corrective n’est prise.

“Les autorités burundaises devraient rétablir l’état de droit et garantir un processus électoral inclusif et transparent”, exhorte Fortuné Gaétan Zongo.

« Il est impératif que le Burundi respecte ses engagements internationaux et que la communauté internationale soutienne activement les efforts de réconciliation, de justice et de protection des droits de l’homme. L’avenir de millions de Burundais en dépend”, mentionne-t-il.

Il appelle également la communauté internationale à rester mobilisée pour protéger les droits des Burundais et prévenir de nouvelles crises dans ce pays déjà fragilisé.

Les autorités burundaises n’ont pas encore réagi à ce nouveau rapport. Mais dans le passé, elles ont toujours dénoncé les rapports de M. Zongo,  » motivés par une volonté de ternir l’image du Burundi et de ses dirigeants ».

En juillet dernier, l’ambassadrice du Burundi à Genève s’était farouchement opposée à un autre rapport de Fortuné Gaétan Zongo.

« Le Burundi s’indigne d’un rapport biaisé avec des allégations mensongères, qui méprise les Burundais, et à base de calomnie et d’infamie à l’endroit des instances étatiques et de toute une population », avait vigoureusement dénoncé Elisa Nkerabirori.

« En réalité c’est pour volontairement asphyxier les institutions démocratiques républicaines pour des intérêts qui ne sont autres que géopolitiques», avait-elle tranché.

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Photo d’archives : À gauche, Fortuné Gaétan Zongo, le rapporteur spécial onusien sur la situation des droits humains au Burundi