Massacre de Gasarara : un verdict sévère dans un procès sous haute tension
SOS Médias Burundi
Le Tribunal de Grande Instance de Bujumbura a rendu ce mardi son verdict dans l’affaire du massacre survenu sur la colline Gasarara, en commune Nyabiraba (ouest du Burundi), où six personnes avaient été tuées. Quatorze individus ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, trois responsables administratifs à trois ans de prison, tandis que quatre accusés ont été acquittés. Si les familles des victimes saluent un acte de justice, des voix s’élèvent pour dénoncer une indépendance judiciaire toujours sujette à caution.
C’est une page douloureuse qui vient d’être partiellement tournée dans cette affaire jugée en procédure de flagrance, à peine huit jours après les faits. Les juges du Tribunal de Grande Instance de Bujumbura ont siégé en itinérance au chef-lieu de Nyabiraba, où étaient détenus les prévenus. Le verdict sévère, prononcé dans une salle d’audience sous haute tension, a marqué les esprits.
Selon le tribunal, les victimes – Libérate Bankamwabo, Stéphanie Ndayishuriye, Annociate Nibizi et sa sœur Judith, Emmanuel Ngiriyabandi alias Reoba, et Benius Misigaro – ont été tuées dans des conditions d’une extrême brutalité. Certaines auraient été empoisonnées puis brûlées publiquement. Une survivante, Euphrasie Ndayavugwa, blessée lors de l’attaque, a échappé de peu au carnage.
Des peines exemplaires et des responsabilités clairement établies
Parmi les condamnés à la perpétuité figurent notamment Aloys Hakizimana, Alexandre Ndikumana, Innocent Ndayisenga, Félix Ntirandekura, Kennedy Manirampa, Innocent Ntirampeba et Jean-Pascal Nahishakiye. Tous ont été reconnus coupables de la planification et de l’exécution des meurtres. Trois autres accusés – Daniel Nyandwi, Elysée Ndayikengurukiye et Samuel Ndihokubwayo – ont été condamnés pour le meurtre des sœurs Nibizi.
Aline Kwizera et Égide Ndayishimiye écopent chacun de 20 ans de servitude pénale pour complicité dans les assassinats de Ngiriyabandi, Misigaro et Bankamwabo.
Trois responsables locaux – un chef de zone, un chef de colline et un leader communautaire – ont été condamnés à trois ans de prison pour non-assistance à personne en danger, leur inaction ayant été jugée fautive malgré des signes avant-coureurs.
En revanche, quatre accusés – Mossé Bigirihiriwe, Léonce Mpitabavuma, Éric Nduwimana et Ferdinand Ntahomvukiye – ont été acquittés faute de preuves suffisantes.
Des indemnisations jugées dérisoires
Le tribunal a également ordonné une réparation financière collective de 165 millions de francs burundais (FBu) à verser aux familles des victimes. Les montants attribués sont les suivants :
- 55 millions à la famille d’Annociate et Judith Nibizi,
- 55 millions à celle de Stéphanie Ndayishuriye et Libérate Bankamwabo,
- 27,5 millions à la famille de Benius Misigaro,
- 27,5 millions à celle d’Emmanuel Ngiriyabandi.
Euphrasie Ndayavugwa, la seule survivante, recevra 10 millions FBu en dédommagement pour ses blessures. Plusieurs proches des victimes ont néanmoins estimé ces montants « symboliques » au regard de l’horreur subie.
Une justice sous surveillance
À la sortie de l’audience, un proche de Libérate Bankamwabo s’est dit à la fois soulagé et prudent : « Nous saluons la décision du tribunal, mais nous resterons vigilants quant à l’exécution réelle des peines. »
Plusieurs organisations de la société civile partagent cette prudence. Bien qu’elles saluent la célérité de la procédure, elles redoutent que la justice burundaise applique ses décisions à géométrie variable. Plusieurs condamnés seraient en effet affiliés aux Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir CNDD-FDD, ce qui ravive les craintes de libérations discrètes, comme observé dans d’autres dossiers sensibles.
« Ce verdict ne doit pas être une vitrine. Il faut garantir que les peines seront réellement appliquées, sans interférences politiques », a déclaré un défenseur des droits humains, joint peu après l’audience.
Un tournant pour la justice burundaise
Dans un contexte politique tendu, ce procès représente un test majeur pour la crédibilité du système judiciaire burundais. La communauté nationale et internationale observera avec attention si les condamnés purgeront effectivement leurs peines à la prison centrale de Mpimba, à Bujumbura.
Sur la colline Gasarara, le traumatisme reste vif. Le sang versé n’est pas encore effacé, mais les familles endeuillées espèrent que ce verdict – bien qu’incomplet – amorce le chemin d’un véritable changement dans la lutte contre l’impunité.
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Photo : Une femme se tient devant un marché local à Nyabiraba, non loin de la localité de Gasarara où six personnes ont été assassinées sur simple soupçon de sorcellerie. La justice burundaise a prononcé des sanctions sévères dans cette affaire, le 8 juillet 2025 © SOS Médias Burundi
