Burundi – Agathon Rwasa : « Ce n’est pas une élection, c’est un show du CNDD-FDD »-L’opposant appelle à une conférence nationale pour éviter une dérive autoritaire
Par SOS Médias Burundi
Bujumbura, 2 juin 2025 – À l’approche des élections législatives et communales, le Burundi est plongé dans un climat politique tendu, marqué par la méfiance, la répression et l’absence de débat démocratique. Dans un entretien exclusif accordé à SOS Médias Burundi, Agathon Rwasa, figure historique de l’opposition, dénonce une mascarade électorale orchestrée par le CNDD-FDD, parti au pouvoir depuis près de deux décennies. Il plaide pour la tenue urgente d’une conférence nationale inclusive, seule issue, selon lui, pour éviter un verrouillage autoritaire du pays.
« Ce n’est pas une élection, c’est un show »
Pour Rwasa, le processus en cours n’a rien d’électoral.
« Ce n’est pas une campagne, c’est un show du CNDD-FDD. Il n’y a ni débat, ni concurrence. Tout est mis en scène. »
Il accuse le parti présidentiel de contrôler toutes les institutions en charge des scrutins, de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) aux structures administratives locales. Une mainmise qui, selon lui, rend impossible toute compétition équitable.
Violence, intimidation et confiscation de voix
La campagne, selon l’opposant, se déroule dans un climat de peur alimenté par les Imbonerakure, la ligue des jeunes du CNDD-FDD.
« Ce ne sont ni la police ni l’armée, mais une jeunesse désœuvrée et manipulée, convaincue que la violence lui ouvrira des portes. »
Rwasa dénonce aussi la confiscation de cartes d’électeurs dans plusieurs provinces, ainsi qu’une atmosphère d’intimidation, particulièrement dans les zones rurales.
Une justice sous tutelle
Il pointe également l’absence d’indépendance de la justice.
« Notre justice est inféodée à l’exécutif, et l’exécutif au parti. Tout s’exécute selon la volonté du CNDD-FDD. »
Il cite à titre d’exemple des recours judiciaires restés sans suite, notamment ceux liés à la crise interne de son ancien parti, le CNL.
Un passé de dialogue oublié
Rwasa rappelle qu’il fut, avec Évariste Ndayishimiye, signataire de l’accord de paix de 2006, à une époque où l’actuel président occupait le poste de ministre de l’Intérieur.
« Nous avons signé la paix ensemble. Je l’appelle à redevenir l’homme de dialogue qu’il a été. »
Une opposition affaiblie et infiltrée
Il se montre sévère envers l’état actuel de l’opposition, qu’il juge fragmentée, infiltrée et affaiblie par des manipulations internes.
« Comment un groupe incapable de rassembler 100 personnes peut-il prétendre représenter l’opposition ? »
Une critique à peine voilée visant le congrès controversé de mars 2024 à Ngozi, lors duquel des dissidents ont pris le contrôle du CNL.
Vers une nouvelle dynamique démocratique ?
Malgré tout, Rwasa ne ferme pas la porte à une recomposition politique, sous forme de coalition ou de plateforme citoyenne.
« On peut faire de la politique sans appartenir à un parti. Ce qui compte, c’est l’engagement pour la nation. »
« Toute initiative sérieuse qui va dans le bon sens mérite d’être soutenue, tant qu’elle ne cherche pas à tromper les gens. »
Un appel à la jeunesse burundaise
Il exhorte la jeunesse à ne pas se laisser manipuler et à s’engager activement pour construire un avenir démocratique.
« Les partis passent, le peuple reste. C’est vous, la jeunesse, qui devez porter le flambeau de la démocratie. »
Un message au président Ndayishimiye
Enfin, Agathon Rwasa interpelle directement le président :
« Il doit être au service du pays, pas du parti. Il ne préside pas le CNDD-FDD, il préside le Burundi. »
Il appelle à une conférence nationale inclusive pour rétablir la confiance, réformer les institutions et organiser de véritables élections démocratiques.
Résister pour la nation
Plus qu’une dénonciation, Rwasa propose une voie de sortie : dialogue, réformes et réconciliation.
« Tant qu’on respire, on doit se battre pour sa nation. C’est pour cela que je résisterai jusqu’au bout. »
Qui est Agathon Rwasa ?
Né en janvier 1964 à Ngozi, Agathon Rwasa est l’une des figures majeures de la vie politique burundaise. Ancien chef rebelle hutu, il a dirigé les Forces nationales de libération (FNL) durant la guerre civile (1993–2005). Après la signature de l’accord de paix de 2006, il fonde le Congrès national pour la liberté (CNL).
Candidat à l’élection présidentielle de 2020, il arrive en deuxième position avec 24,2 % des voix, mais rejette les résultats, qu’il qualifie de frauduleux. Malgré l’adversité, il demeure une voix influente de l’opposition, reconnu pour son franc-parler et sa constance.
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Photo : Agathon Rwasa, longtemps figure centrale de l’opposition burundaise, écarté du scrutin du 5 juin 2025 et privé du contrôle de son parti, le CNL © SOS Médias Burundi
