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Tanzanie : Pressions croissantes sur les réfugiés burundais – entretiens controversés dans les camps de Nduta et Nyarugusu

SOS Médias Burundi

Dans les camps de réfugiés burundais en Tanzanie, un nouveau processus d’« entretiens de présélection » suscite de vives inquiétudes. Officiellement destiné à évaluer la volonté des réfugiés de rester sous protection internationale, ce dispositif est dénoncé par plusieurs ONG et réfugiés comme une manœuvre déguisée pour forcer les retours au Burundi, dans un climat de peur, de confusion linguistique et de pressions psychologiques.

Depuis trois semaines à Nduta et plus récemment à Nyarugusu, les réfugiés burundais font face à une nouvelle vague d’« entretiens de présélection » menés par le HCR et les autorités tanzaniennes. Officiellement présentés comme un moyen de déterminer qui souhaite encore bénéficier d’une protection internationale, ces entretiens suscitent malaise, incompréhension et accusations de coercition.

SOS Médias Burundi a accompagné un réfugié burundais jusqu’au bureau d’entretien. Nous omettons son nom et l’appelons *Benoit pour des raisons de sécurité.

Benoît est un réfugié installé avec sa famille dans le village I4 de la zone 8 de Nyarugusu. Il témoigne de cette atmosphère pesante. Le mardi 20 mai, à 10h30, il attend son tour :
« Je ne sais pas pourquoi, mais je ne me sens pas bien. Comme chrétien, je ressens qu’un malheur m’attend. Mais j’ai prié, alors j’avance. »

Conduit auprès d’une agente du HCR, il choisit de s’exprimer en swahili. Rapidement, il est interrompu alors qu’il évoque son premier exil de 1993 :
« Concentrez-vous sur votre dernière fuite », lui intime-t-on. Il raconte alors son départ du Burundi en mai 2015, les persécutions et les menaces qui l’ont poussé à fuir.

Les questions s’enchaînent : métier exercé, biens abandonnés, proches restés au pays, diplômes, voyages effectués. Mais c’est une question finale qui le désarçonne :
« Qu’est-ce qui vous empêche de rentrer chez vous ? »
Il répond :
« En Tanzanie, j’ai trouvé la paix et la stabilité. Le Burundi reste pour moi un danger, une menace permanente. »

Aucune copie de ses déclarations ne lui est remise. Pire encore, il doit signer un document rédigé en anglais, une langue qu’il ne maîtrise pas.
« Et si ce papier contenait des engagements, des aveux ? », s’inquiète-t-il. « Ce document devrait être rédigé dans une langue que je comprends. »

En visitant d’autres bureaux, Benoît remarque la présence d’agents parlant couramment le kirundi. Cela l’intrigue :
« Travaillent-ils pour le HCR, pour la Tanzanie… ou pour le Burundi ? Et si ce sont des infiltrés ? »

ONG en retrait et tensions avec les autorités

Un formulaire interne du HCR, que SOS Médias Burundi a pu consulter, détaille les objectifs de ces entretiens :
« Déterminer si le demandeur souhaite ou non être admis à la procédure d’asile ».
Une question en particulier soulève des doutes :
« Êtes-vous prêt à retourner dans votre pays ? Si non, pourquoi ? »

Face à ce processus, plusieurs ONG partenaires expriment, avec prudence, leur malaise. Le Danish Refugee Council (DRC) a temporairement retiré ses interprètes du camp de Nduta, dénonçant son exclusion de l’organisation des entretiens.

La réaction des autorités locales a été immédiate : suspension des activités de l’ONG, blocage de ses véhicules et immobilisation de ses employés pendant trois jours. Après des négociations, DRC a été autorisée à reprendre ses opérations, à condition d’intégrer de nouveau ses agents au processus.

Violations présumées et climat d’intimidation

La Coalition pour la Défense des Droits Humains des personnes vivant dans les Camps de Réfugiés (CDH/VICAR) va plus loin. Son président, Léopold Sharangabo, qualifie ces entretiens de « massifs et coercitifs », dénonçant une violation des droits fondamentaux des réfugiés :
« Ce ne sont pas des entretiens, ce sont des injonctions. Les réfugiés sont forcés de signer des documents qu’ils ne comprennent pas. »

Des témoignages anonymes recueillis par SOS Médias Burundi font état de méthodes d’intimidation attribuées à des agents de renseignement et à certains membres d’ONG locales : menaces nocturnes, violences physiques, viols, arrestations arbitraires et actes de torture visant ceux qui refusent de coopérer.

Un processus inscrit dans un accord tripartite

Ce dispositif trouve son origine dans un accord signé en décembre 2024 entre la Tanzanie, le Burundi et le HCR. Il vise officiellement à distinguer les réfugiés nécessitant toujours une protection internationale de ceux dont les raisons de fuite « ne sont plus d’actualité ».

Mais pour une partie des réfugiés, l’objectif réel est tout autre :
« C’est un théâtre. Les décisions sont déjà prises. Ils veulent se débarrasser de nous. »

La Tanzanie accueille encore plus de 104 000 réfugiés burundais, majoritairement arrivés lors de la crise politique de 2015 provoquée par le troisième mandat controversé du feu président Pierre Nkurunziza. Beaucoup redoutent aujourd’hui que cette nouvelle campagne de « présélection » n’ouvre la voie à des retours forcés vers un pays qu’ils considèrent toujours comme dangereux.

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Photo : Une réfugiée burundaise basée en Tanzanie prépare à manger pour ses enfants © SOS Médias Burundi