Nduta (Tanzanie) : des interviews controversées inquiètent les réfugiés burundais

SOS Médias Burundi
Nduta, 8 mai 2025- Les autorités tanzaniennes, en collaboration avec le HCR et le gouvernement burundais, ont lancé une série d’interviews auprès des réfugiés burundais dans les camps. Officiellement destinées à comprendre les freins au retour volontaire, ces enquêtes sont perçues par les réfugiés comme une manœuvre de tri préalable à une expulsion. Les témoignages évoquent un climat d’intimidation, de harcèlement et de violences croissantes dans les camps.
Le camp de Nduta, dans le nord-ouest de la Tanzanie, est devenu cette semaine le théâtre d’un exercice qualifié de « cynique » par plusieurs réfugiés burundais. Sous la houlette des autorités tanzaniennes et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), des centaines de personnes issues de quatre villages de la zone 15 sont convoquées pour des entretiens approfondis. Objectif affiché : « trouver des solutions durables » à leur exil prolongé.
Dix bureaux ont été installés pour accueillir les réfugiés. Ces derniers sont soumis à une série de questions jugées « intrusives et déstabilisantes », allant de l’identification personnelle à leurs activités politiques passées, en passant par leur niveau d’études, les raisons du départ, les poursuites judiciaires éventuelles et les biens possédés au Burundi ou en exil.
Ce modèle découle d’un accord tripartite signé en décembre dernier entre la Tanzanie, le Burundi et le HCR, censé trier entre ceux qui nécessitent toujours une protection internationale et ceux « dont les raisons de fuite ne sont plus d’actualité ».
Climat de peur et accusations de violences
Mais sur le terrain, la méfiance est totale. De nombreux réfugiés estiment que cette opération prépare un rapatriement forcé ou la fermeture pure et simple des camps. « C’est une formalité pour se débarrasser de nous. Les décisions sont déjà prises. Ce n’est qu’un théâtre », témoigne un réfugié de Nduta.
Plus grave encore, certains dénoncent un climat de terreur imposé par ceux-là mêmes qui conduisent ces entretiens. « Ce sont les agents de renseignement et les responsables d’ONG locales qui nous menacent la nuit, qui nous forcent à signer pour le retour, qui frappent, violent, arrêtent ou torturent ceux qui résistent », accuse un groupe de réfugiés sous anonymat.
SOS Médias Burundi a recueilli des témoignages concordants faisant état de cas de harcèlements, d’arrestations arbitraires, de disparitions inquiétantes et de violences sexuelles perpétrées à l’intérieur des camps. Les auteurs présumés seraient des agents de sécurité tanzaniens ou des collaborateurs burundais infiltrés dans le système humanitaire.
Fuite de données, manque de confidentialité et résignation
Autre sujet de préoccupation : l’absence de confidentialité lors des entretiens. « On nous pose des questions très personnelles devant des gens qui ne nous ont jamais respectés. On soupçonne que nos réponses seront transmises au gouvernement burundais », affirme une mère de famille.
Face à ce climat d’angoisse, certains réfugiés préfèrent se faire rapatrier d’eux-mêmes. « J’ai vu trois personnes se chamailler avec les enquêteurs. Elles sont allées directement s’enregistrer pour le retour, par peur d’une décision encore pire », confie un résident de Nduta.
Lors de sa récente visite dans les camps, John Walioba Mwita, Inspecteur général chargé des réfugiés pour la région de Kigoma où sont installés les camps de réfugiés de Nduta et Nyarugusu, a clairement indiqué que des mesures allaient suivre cette opération. Parmi elles : la fin du « paquet retour » pour les rapatriés, le retour contraint pour ceux jugés non éligibles au statut de réfugié, et la « protection limitée » à une minorité.
Appel à une supervision internationale
Alors que les entretiens doivent s’étendre la semaine prochaine au camp de Nyarugusu, l’inquiétude monte. « Si rien n’est fait, la fermeture des camps, suspendue en décembre, pourrait devenir réalité », préviennent les réfugiés.
Ils demandent la suspension immédiate du processus ou, à défaut, une supervision internationale impartiale.
« Que des experts indépendants mènent les entretiens, pas ceux qui nous maltraitent depuis des années», implorent-ils.
La Tanzanie abrite actuellement plus de 104 000 réfugiés burundais, pour la plupart installés depuis la crise politique de 2015, déclenchée par un autre mandat controversé de feu président Pierre Nkurunziza.
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Photo d’illustration : des réfugiés burundais dans une réunion avec les autorités tanzaniennes au camp de Nyarugusu © SOS Médias Burundi