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Burundi : une flambée silencieuse des loyers étrangle les ménages urbains

Par SOS Médias Burundi

Dans les grandes villes du Burundi, les loyers s’envolent à une vitesse inquiétante, doublant parfois en quelques mois. Alimentée par la dévaluation du franc burundais, la hausse du coût des matériaux et l’absence de régulation, cette crise silencieuse fragilise de plus en plus de familles urbaines, sans qu’aucune réponse concrète n’ait encore vu le jour.

Depuis l’an dernier, les loyers ont connu une hausse spectaculaire dans les principales villes du Burundi, notamment à Bujumbura, Gitega et Ngozi. Dans certains quartiers, ils ont littéralement doublé en quelques mois. Cette envolée, alimentée par un faisceau de facteurs économiques, plonge de nombreuses familles dans une précarité croissante, dans un silence quasi total des autorités.

À Bujumbura, des loyers qui explosent

La capitale économique, Bujumbura, est l’un des épicentres de cette crise. Déjà frappés par une inflation généralisée, les habitants voient leurs loyers grimper sans que cela ne s’accompagne d’aucune amélioration des conditions de logement.
Mathias Girubuntu, résident de la zone Nyakabiga (commune de Mukaza), raconte : « Mon loyer est passé de 200 000 à 400 000 francs burundais en moins d’un an, sans que rien ne change dans la maison. »

Des cas similaires se multiplient, nourrissant colère et frustration chez les locataires, nombreux à peiner à joindre les deux bouts.

Photo : Le rond point principal à côté de la Place de l’Indépendance dans la ville de Bujumbura © SOS Médias Burundi

Gitega et Ngozi également touchées

La situation n’est guère meilleure à Gitega, la capitale politique. Là aussi, les loyers montent en flèche. De plus en plus de propriétaires exigent désormais des paiements anticipés allant de six mois à un an, excluant de fait une grande partie des ménages modestes de l’accès au logement. À Ngozi, les habitants rapportent les mêmes difficultés, dans un contexte où la demande dépasse largement l’offre.

Une pression généralisée sur le coût de la vie

La hausse des loyers ne survient pas en vase clos. Elle s’inscrit dans une tendance plus large de renchérissement du coût de la vie, qui touche toutes les sphères du quotidien. Les produits de première nécessité — riz, sucre, huile de cuisson — ont connu des hausses vertigineuses. En février 2025, le riz coûtait 20 % plus cher qu’à la même période l’an dernier, selon les relevés d’observateurs du marché.

Le secteur des transports n’est pas en reste. La montée des prix du carburant a entraîné une hausse des tarifs dans les transports publics, un moyen de déplacement crucial pour la majorité des Burundais. Par ailleurs, la dépréciation continue du franc burundais — qui a perdu 38,28 % de sa valeur par rapport au dollar en janvier 2024 — a aggravé la situation des ménages, particulièrement ceux tributaires de produits importés.

Résultat : pour beaucoup de familles, il faut désormais faire des arbitrages douloureux. Certaines sacrifient des dépenses essentielles, comme l’alimentation ou la santé, pour pouvoir continuer à se loger.

Une place publique dans la capitale politique Gitega © SOS Médias Burundi

Les causes structurelles de la crise

Derrière cette flambée, plusieurs causes convergentes. La dévaluation du franc burundais a entraîné une hausse du coût des matériaux importés, dont ceux utilisés dans le bâtiment. Selon l’Institut des statistiques (ISTEEBU), les matériaux de construction ont vu leurs prix augmenter de 1,6 % en janvier 2024. Dans un pays dépendant de l’extérieur pour la plupart de ses intrants, cette augmentation a mis à mal les projets de construction ou de rénovation.

À cela s’ajoute la pénurie persistante de carburant, qui ralentit les chantiers, renchérit les coûts logistiques et aggrave la crise de l’offre de logements. Beaucoup de propriétaires répercutent ces hausses sur les loyers, au détriment des locataires.

Un vide juridique qui favorise les abus

Le marché locatif burundais fonctionne sans encadrement spécifique. Le Code civil prévoit quelques règles générales en matière de location, mais leur application reste rare. Ce manque de réglementation ouvre la voie à des pratiques abusives : hausses unilatérales, expulsions arbitraires, exigences de paiement excessives.

Sans mécanisme de médiation ni instance de régulation, les locataires se retrouvent seuls face à des propriétaires parfois peu scrupuleux.

Une tentative de réponse gouvernementale

En mars 2025, face à la montée des tensions et aux plaintes répétées des citoyens, le gouvernement a annoncé la création d’un organe chargé de réguler le marché locatif. L’objectif affiché : contrôler les hausses abusives et encadrer les relations entre bailleurs et locataires.

Cette mesure, encore en phase de mise en œuvre, suscite des attentes mais aussi des interrogations. Son efficacité dépendra largement de son indépendance, de ses moyens d’action, et de sa capacité à s’imposer dans un marché marqué par l’informalité.

Une urgence sociale ignorée

Ce que vivent actuellement les ménages urbains burundais relève d’une crise silencieuse mais dévastatrice. En l’absence d’un cadre légal adéquat et de politiques publiques vigoureuses, les familles les plus vulnérables risquent de sombrer davantage dans la précarité.

Face à l’urgence, une action publique rapide et ciblée — incluant une régulation stricte des loyers, une augmentation de l’offre de logements sociaux, et des mécanismes de soutien aux locataires en difficulté — est indispensable. Sans cela, l’accès au logement pourrait devenir, pour de nombreux Burundais, un luxe inaccessible.

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Le chef-lieu de la province de Ngozi, au nord du Burundi © SOS Médias Burundi