Goma : semaine mouvementée entre alliés dans le Nord-Kivu

Au cours de la semaine du 23 septembre 2024, plusieurs affrontements ont eu lieu entre les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) et l’armée congolaise d’un côté et entre les milices locales entretenues par les autorités congolaises et les FARDC de l’autre. L’armée confirme la mort de miliciens et civils mais refuse d’admettre qu’elle s’est affrontée avec les génocidaires Hutus-FDLR. Ces derniers disent aussi n’avoir pas combatu l’armée régulière. Les combats se sont déroulés dans une zone où des déplacés de guerre sont installés. Ils ont provoqué de nouveaux déplacements. Le gouverneur du Nord-Kivu a convoqué une réunion pour apaiser les tensions. Les chefs des milices y ont participé. (SOS Médias Burundi)
Tout commence le 23 septembre dernier quand des militaires congolais se lancent à la traque d’un chef militaire- FDLR, non loin de la cité de Sake sur le territoire de Masisi en province du Nord-Kivu à l’est du Congo. Et dans la nuit de mercredi à jeudi, des affrontements ont été signalés dans la zone de Rusayo , dans le parc des Virunga, entre les FDLR et les FARDC (Forces Armées de la République démocratique du Congo). D’après la société civile locale, les combats se sont poursuivis durant toute la matinée de jeudi. C’est sur le territoire de Nyiragongo.
Un porte-parole des FDRL a nié ces informations.
« Vous savez-nous sommes des réfugiés, nous ne sommes pas dans notre propre pays. C’est le Congo qui nous abrite. Comment pouvons-nous oser nous affronter avec les FARDC ? C’est une bêtise que nous ne pourrons jamais commettre », a expliqué à SOS Médias Burundi Cure Ngoma, porte-parole des FDLR. Ses dires sont confirmés par des sources militaires dans le Nord-Kivu qui disent que les affrontements ont plutôt éclaté entre l’armée régulière et un groupe armé local entretenu par le gouvernement congolais. Il s’agit de l’APCLS (Alliance des Patriotes pour un Congo libre et souverain) du général autoproclamé Janvier Karairi.
« Le problème existe entre ces deux fils du pays – les FARDC et les Wazalendo (milices locales entretenues par les autorités congolaises) et non entre les FDLR et les FARDC », selon Cure Ngoma.
Décision prise en dehors de la province
Selon des sources sécuritaires haut placées, l’attaque des positions des FDLR a été décidée au niveau de Kinshasa, par un groupe de hauts gradés, sans informer les autorités du Nord-Kivu « corrompues ».
Certaines sources disent que même la présidence congolaise n’a pas été mise au courant de cette opération.
« Ceux qui ont décidé cette intervention vont certainement avoir des ennuis », estiment des membres du renseignement congolais. Au moment des faits, le président Félix Tshisekedi se trouvait à New-York pour participer à la 79e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies où il a appelé à de nouvelles sanctions contre le Rwanda. Nos sources pensent que les hauts gradés qui ont pris la mesure, ont voulu « plaire à la communauté internationale ».
Deux unités avaient été dépêchées dans le plus grand secret pour « surprendre » les FDLR , selon nos sources.

Récemment, les autorités congolaises avaient accepté de mener des combats contre les FDLR, lors des négociations avec le Rwanda sous l’égide de l’Angola, avant de se désister. Le porte-parole adjoint du gouvernement rwandais Alain Mukularinda a parlé d’une situation « hors norme ».
Combats avec les Wazalendo confirmés
Selon le porte-parole des FARDC dans le Nord-Kivu, le lieutenant colonel Guillaume Ndjike Kaiko, les hostilités entre les militaires congolais et les miliciens- APCLS, ont fait sept morts dont quatre civils. Au moins 17 autres personnes ont été blessées.
Réunion FARDC-Milices
Le vendredi 27 septembre, plusieurs chefs de milices locales ont été invités à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu. Ils ont rencontré le commandant en charge des opérations militaires dans le Nord-Kivu et Sud-Kivu et le général Peter Cirimwami Nkuba, gouverneur militaire du Nord-Kivu.
À en croire le porte-parole des FARDC dans le Nord-Kivu, la réunion avait pour objectif de « lever les équivoques sur les incidents survenus dans le groupement de Rusayo en territoire de Nyiragongo où une position des éléments APCLS a été attaquée par les forces loyalistes ».
Innocent Kanyabungo, un colonel- APCLS s’est plaint.
« Nous avons perdu 2 hommes dans cette attaque et 9 autres ont été blessés », a-t-il déploré. « Je ne comprends pas pourquoi les FARDC ont décidé de nous attaquer ».
Le colonel Kanyabungo a dit qu’il a ordonné un repli temporaire de ses combattants, en attendant que des enquêtes soient menées et des responsabilités établies.
« Nos munitions ont été aussi incendiées. Actuellement ce sont les FARDC qui occupent nos positions, preuve qu’elles sont à l’origine de l’attaque », s’est-il plaint de plus.
Les combats entre les militaires congolais et les miliciens se sont déroulés aux alentours du camp de déplacés de guerre de Lushagala, sur le territoire de Nyiragongo non loin de la ville de Goma. Des sources locales parlent d’un malentendu entre les responsables de l’armée dans cette région et ceux des milices. Ces derniers ont refusé de céder des positions qu’ils avaient installées à côté de ce site dont les occupants ont fui la guerre entre les FARDC et le M23, un groupe armé local qui contrôle une grande partie du Nord-Kivu dont la cité de Bunagana, frontalière avec l’Ouganda.

Plusieurs déplacés internes ont été contraints de fuir de nouveau pour se diriger à Goma, craignant pour leur sécurité. Le chef du groupement de Rusayo a dit à SOS Médias Burundi qu’il s’agissait d’une confusion.
« Un commandant des FARDC s’est retrouvé, avec ses hommes, dans les zones contrôlées par les Wazalendo », a-t-il expliqué. « Cela s’est passé à Rusayo et Sake ».
Intérêts pécuniaires
Selon la société civile locale, les FARDC et les miliciens- APCLS se sont affrontés pour des intérêts pécuniaires.
« Il y a eu une altercation entre les FARDC et un groupe de Wazalendo à Rusayo. Ils se disputaient les recettes qu’ils perçoivent illégalement sur ce tronçon. Des barrières clandestines ont déjà été érigées sur différents tronçons routiers où ils reçoivent des contributions forcées. Ils se sont donc tirés dessus », témoigne Thierry Gasisiro, rapporteur technique de la société civile de Nyiragongo.
Dans un entretien avec SOS Médias Burundi, M.Gasisiro estime que « c’est surprenant qu’ils aient eu recours aux armes lourdes ». Il affirme que le calme est revenu dans la région depuis vendredi soir. Il parle de morts des deux côtés, sans préciser le nombre.
Depuis la résurgence du M23, c’est la première fois que l’armée congolaise vise des positions des FDLR. Plusieurs groupes et individus associés aux FDLR ont qualifié l’attaque de « trahison ».
Les FDLR, tout comme les milices locales sont sollicitées par les autorités congolaises malgré leurs exactions quotidiennes présumées, pour combattre le M23.
Le M23 est une ancienne rébellion Tutsi qui a repris les armes fin 2021, reprochant aux autorités congolaises de n’avoir pas respecté leurs engagements sur la réinsertion de ses combattants. Les autorités congolaises restent persuadées qu’il bénéficie d’un soutien du Rwanda, ce qui les a poussées à déposer une plainte contre Kigali, à la Cour de justice de l’EAC, la communauté Est-Africaine dont les deux sœurs nations de la région des Grands-Lacs d’Afrique sont membres. Le dossier a commencé à être entendu le 26 septembre dernier. Le Rwanda qui a toujours balayé ces allégations d’un revers de la main, a qualifié l’action de « non événement ».
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Photo : le camp de déplacés de Lushagala sur le territoire de Nyiragongo non loin duquel les combats entre les FDLR et les FARDC d’un côté et entre les éléments APCLS et l’armée congolaise ont eu lieu © SOS Médias Burundi