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Crise-carburant : mensonges, incohérences, contradictions et délires s’entremêlent, qui et que croire ?

Le Burundi traverse une crise du carburant depuis pratiquement 43 mois. Elle s’est davantage détériorée ces derniers mois, poussant les Burundais des régions frontalières et de la ville commerciale Bujumbura à aller s’approvisionner au Congo ou encore en Tanzanie, ne pouvant pas se rendre au Rwanda voisin, suite à la fermeture des frontières. Le président Ndayishimiye, son Premier ministre, les ministres des Finances et de l’Energie et le président de la chambre basse ont des explications divergentes sur cette crise, voire contradictoires. Dans leur discours, certains de ces dirigeants se contredisent, d’autres préfèrent mentir et délirer tout simplement.

INFO SOS Médias Burundi

Le 14 juin dernier, le ministre burundais des Finances était convoqué à l’Assemblée nationale. Les députés procédaient ce jour-là à l’analyse et à l’adoption du projet de loi portant fixation du budget général de l’Etat, exercice 2024-2025.

Certains députés avaient dénoncé deux jours avant, quand le président de la Cour des comptes était allé expliquer les analyses de son bureau, la crise actuelle qui secoue la petite nation de l’Afrique de l’est, surtout la pénurie persistante du carburant, un d’entre eux demandant à ses pairs de ne pas trop discourir « car il y en a qui rentrent à pieds ». Le ministre Audace Niyonzima a expliqué que c’est le manque de devises qui est la principale cause de cette pénurie.

« Le plus grand problème est lié au fait que nous importons les produits pétroliers. Or les importations se font en devises qi sont très insuffisantes aujourd’hui », a avoué Audace Niyonzima, reprochant à une certaine opinion de « faire semblant de l’oublier ».

Délires et mensonges de Daniel Gélase Ndabirabe

Le même jour, le très sulfureux président de l’Assemblée nationale a menti sur toute la ligne, concernant la crise du carburant.

Daniel Gélase Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale du Burundi

« Vous êtes revenus sur la crise du carburant, mais je me demande : ces gens qui cachent le carburant dans les maisons où quelqu’un peut être surpris avec 5 mille litres, 3 mille litres de carburant…pourquoi cette personne agit ainsi ? »

‘’Et vous dites qu’il n’y a pas de carburant alors que parmi vous il y en a qui le cachent dans les maisons ou vos amis mais vous ne dites rien. Et ils revendent ce carburant à des prix très exorbitants. Et vous faites semblant de vous étonner comme le font les colons. Les colons nous imposent des conditions qui nous maintiennent dans la pauvreté et ils viennent se moquer de nous disant que les pays africains ne se développeront jamais alors qu’ils sont en train de nous piller », s’est-il emporté.

Souhait de la réintroduction de la peine de mort

« Ne faites pas comme eux (les colons). Les gens cachent le carburant pour que le peuple se révolte. Même maintenant, allez voir, il y a des camions qui font entrer du carburant. Mais où va ce carburant ? Nous allons demander au gouvernement de réintroduire la peine de mort pour toute personne attrapée en train de voler du carburant car cela revient à appauvrir le pays et la population que vous évoquez. Qu’elle soit tuée sur le champ, peut-être que la situation va s’améliorer un peu « , a enfoncé Daniel Gélase Ndabirabe.

Le Rwanda, éternel bouc émissaire

Selon Daniel Gélase Ndabirabe, il y a des agents de l’Etat qui s’arrachent les cheveux, passent des nuits blanches entières  » pour que le carburant puisse être disponible ». Il regrette qu’il y ait des gens qui vendent le carburant  » burundais » au Rwanda.

« N’y-a-t-il pas de Burundais qui vont à l’étranger pour dire : ne donnez pas de carburant au Burundi, le Burundi n’est pas solvable. Pourquoi vous ne les dénoncez pas ? C’est le gouvernement qui donne les devises pour importer le carburant mais certains le stockent pour aller le revendre au Rwanda », a accusé le président de l’Assemblée nationale du Burundi.

Couper les doigts

S’adressant à des députés qui ont dénoncé des taxes excessives et la crise actuelle généralisée que traverse le pays, M. Ndabirabe a souhaité que l’on coupe leurs doigts.

 » Que voulez-vous ? N’y-a-t-il pas parmi vous qui vendent en devises ? Ou vos amis ? Mais vous aboyez : il n’y a plus de devises, le pays ne dispose pas de devises ! Comment parvenez-vous à construire ces villas que nous voyons? Ce ne sont pas les devises que vous cachez ? Et vous refusez de faire transiter ces devises par la BRB (Banque de la République du Burundi). L’on devrait couper ces doigts que vous utilisez pour échanger ces devises alors que le pays et ses habitants deviennent de plus en plus pauvres « , a-t-il déclaré sous un ton très sévère, souhaitant que  » les perturbateurs de l’économie soient pendus sur un poteau ».

Le président Neva se contredit et avance des chiffres au hasard

Pour Neva, la crise du carburant est due en partie au manque de devises dans la petite nation de l’Afrique de l’est, résultat selon lui, de faibles exportations et de la mauvaise gestion  » de peu de ressources que nous avons ». Mais il se contredit, affirmant que les Burundais ont acheté d’innombrables véhicules, motos et tricycles notamment, tout en accusant certains de ses collaborateurs d’empêcher les entreprises pétrolières de donner du carburant au Burundi « non solvable ».

Audace Niyonzima, ministre burundais en charge des finances dans l’émission des membres du gouvernement, le 28 juin 2024 à Makamba ( SOS Media Burundi)

 » Rien que pour ces premiers six mois de cette année, les Burundais ont acheté 2739 véhicules, 5575 motos, 900 groupes électrogènes, 10287 pompes à eau, etc. En partant de ça, vous comprenez à combien s’élèvent les nouvelles bouches qui consomment du carburant! », a-t-il déclaré en marge d’une croisade marquant ses quatre années au pouvoir, en commune Nyabihanga dans la province Mwaro (centre du Burundi), fin juin dernier.

Et d’ajouter : » Depuis 2020 jusqu’à présent, le Burundi a importé 33168 véhicules, 40922 motos, 7784 groupes électrogènes, 16638 pompes à eau », blâmant Satan et les Burundais  » qui perdent espoir très facilement ». Le chef de l’État n’a pas donné la source de ces chiffres.

Fonctionnaires-ennemis


Selon le président burundais, il y a des hauts fonctionnaires qui vont à l’étranger pour dire aux entreprises pétrolières de ne pas donner du carburant au Burundi, avançant que  » le pays n’est pas solvable ». Pour lui, ils le font dans le but de  » soulever la population contre les institutions ».

 » Mais ces personnes-là, je les ai pardonnées car ce sont des outils du diable », a-t-il nuancé.

Dépréciation de la monnaie burundaise face au dollar admise

Au Burundi, les importations se font principalement en dollars américains. Évariste Ndayishimiye a admis à Mwaro dans un prêche pour le moins médiocre, que la valeur de la monnaie de son pays ne cesse de se dégrader face au dollar.

« Importons-nous en monnaie locale ? Ou bien le franc burundais achète les devises ?’’ a-t-il questionné devant un large public de personnes venues assister à la croisade, la majorité étant constituée de cultivateurs et certaines ayant été forcées d’y participer.

Pourtant, quelques mois auparavant, Ndayishimiye avait lui-même affrimé que la monnaie burundaise n’a rien à envier au dollar de la première puissance mondiale.

« Un avocat coûte 100 francs à Nyabihanga (province Mwaro, centre du Burundi) et son prix aux États-Unis est de 5 dollars. N’est-ce pas que 100 francs burundais a la valeur de 5 dollars américains ? Que l’on ne vous mente pas « , a-t-il calculé en marge de la célébration de la journée dédiée à la femme du CNDD-FDD, le parti présidentiel, le 16 mars 2024 dans la capitale politique Gitega.

La fausse déclaration de Ndakugarika

Le Premier ministre burundais Gervais Ndirakobuca alias Ndakugarika quant à lui estime que chaque ménage burundais compte au moins trois véhicules.

Gervais Ndirakobuca, premier ministre burundais dans l’émission des membres du gouvernement, le 28 juin 2024 à Makamba ( SOS Médias Burundi)

« L’appel que je peux lancer aux Burundais est celui-ci : cessez avec cette habitude où l’enfant doit avoir un véhicule, le chef de ménage en posséder un autre tout comme sa femme. Plus le parc automobile s’agrandit, plus la demande en carburant devient grande notamment « , a lancé M. Ndirakobuca dans une émission publique des membres du gouvernement burundais le 28 juin dernier à Makamba au sud du Burundi.

Toutefois, le 25 avril 2024, Gervais Ndirakobuca avait reconnu que le manque de devises qui bat son plein est la principale cause de la crise généralisée que traverse la petite nation de l’Afrique de l’est. Il expliquait aux députés les raisons du non financement de la seule brasserie et limonaderies du Burundi (Brarudi), qui n’arrive plus à produire suite au manque de devises.

 » Nous sommes en train de voir comment trouver une solution. Mais il faut considérer les priorités. Peut-on sacrifier l’argent destiné à l’achat des fertilisants et le donner à la Brarudi aujourd’hui? », a insisté Gervais Ndirakobuca qui a avoué que le gouvernement n’a pas de réponse à la crise qui secoue le pays, blâmant les sanctions de 2016, consécutives à un autre mandat controversé de feu président Pierre Nkurunziza. Selon lui, «ces sanctions ont plongé le pays dans le gouffre après 2020 car entre 2015 et 2020, nous avions encore quelques épargnes ».

La malhonnêteté obligée d’Uwizeye

Le ministre burundais de l’Energie, Ibrahim Uwizeye, ne s’exprime presque plus sur la crise du carburant depuis le début de l’année. Mais au cours des dernières années, il avait souvent promis aux consommateurs burundais de leur trouver du carburant, en quantités suffisantes dans les stocks du gouvernement sur le port de Dar-es-Salaam en Tanzanie. Des dires qu’il partageait avec le président Ndayishimiye. L’« honnête » ministre, selon le chef de l’État, ne s’écarte pas de la voie de son patron même aujourd’hui.

Ibrahim Uwizeye, ministre burundais en charge de l’Energie dans l’émission des membres du gouvernement, le 28 juin 2024 à Makamba ( SOS Médias Burundi)

« Les Burundais doivent comprendre que le parc automobile s’est largement agrandi depuis 2020 et les équipements exigeant la consommation du carburant se sont multipliés à un degré très élevé », a déclaré Ibrahim Uwizeye dans l’émission de Makamba, sans pour autant être aussi exhaustif que son maître. Il a aussi reconnu le manque de devises et les faibles exportations du Burundi.

Tout comme le Premier ministre Ndirakobuca, le ministre de l’Energie a incriminé les bailleurs qui ne financent plus le budget du gouvernement burundais alors que la demande en carburant a doublé, depuis.

Qui croire? Ces deux mots qu’avaient écrit Willy Nyamitwe aujourd’hui en poste à Addis-Abeba en Éthiopie comme ambassadeur auprès de l’Union Africaine, l’ancien conseiller principal en charge de la communication de feu président Pierre Nkurunziza, pour narguer ceux qui s’opposaient à un autre mandat controversé de ce dernier, n’ont jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui. Entre temps, les Burundais risquent de transférer la crise du carburant au Congo voisin.

Les propriétaires de véhicules et les chauffeurs se rabattent en grande partie sur la ville d’Uvira, à l’est de la RDC, frontalière avec Bujumbura province et la ville commerciale, ce qui a provoqué la hausse du prix de l’essence notamment. Un litre d’essence est passé de 3500 à 8000 francs congolais depuis le vendredi 5 juillet. Ce qui a poussé les autorités administratives congolaises à prendre des mesures drastiques pour décourager le trafic du carburant via la rivière Rusizi, séparant le Burundi et le vaste pays de l’Afrique centrale depuis début juillet.

« Le Burundi n’avait jamais connu pareille crise, même durant la période de l’embargo dans les années 90 », s’accordent à dire des spécialistes locaux, régionaux et internationaux. Ce que le président Neva reconnaît, préférant s’en remettre à Dieu.

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Le président Évariste Ndayishimiye à l’aéroport de Bujumbura pour accueillir la présidente éthiopienne, le 9 février 2021( SOS Médias Burundi)