Ndayishimiye : d’homme providentiel à roi sans royaume

Qui ne se souvient pas des dithyrambiques ouf de soulagement à l’arrivée d’Evariste Nadayishimiye au pouvoir ! Mal élu certes, avec des résultats officiels toujours dans les tiroirs, quatre ans après la présidentielle, le monde, et surtout les Burundais, avaient espéré qu’il serait et qu’il ferait mieux que son prédécesseur, feu Pierre Nkurunziza.
Malgré son enthousiasme, presque jouissif, en se déclarant « héritier de Sogo », tout le monde et chacun se disaient : « De toutes les façons, on ne pourra pas tomber plus bas. C’est impossible ! » Mais aujourd’hui, il faut bien se rendre à l’évidence. Certains allant jusqu’à dire : « Si au moins il avait laissé les choses en l’état ». Bref, notre Neva national ne mérite même pas la note de 0/10, mais bien en deçà, loin, très loin en deçà. Et, par ses faits, dires et gestes, en ce 1er juillet, la « fête » de l’indépendance s’est muée en un funeste « deuil » de l’indépendance.
Editorial, sous la collaboration de Franck Kaze, journaliste burundais en exil (SOS Média Burundi)
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« Lui, au moins, il n’a pas de sang sur les mains ». « On n’a jamais entendu son nom dans des affaires de corruption ou de détournement ».
Sans se poser de questions sur les capacités du général Evariste Ndayishimiye de diriger le pays, l’opinion s’était à tout le moins trouvée un homme « propre ». C’était déjà ça. Une image policée, qui s’est aussitôt accompagnée de discours prometteurs, beaux, et même trop beaux. Tellement beaux que la communauté internationale lui ouvre instantanément les bras, et les portes avec.
Ainsi, le nouveau président brise l’enfermement dans lequel s’était perclus Nkurunziza et voyage autour du monde, il est invité dans toutes les grands-messes internationales, ou presque. Tiens, il est même désigné « champion de la jeunesse africaine ! » Rien que ça.
Le ton convaincant, Evariste Ndayishimiye obtient, quoique juste sur le papier, la levée des sanctions économiques de l’Union européenne prises en 2016 à la suite de la grave crise causée par le très contesté 3e mandat de Pierre Nkurunziza.
Mais à trop chasser le naturel, il revient sans freins au galop. Le monde, désabusé, découvre, bien que tard, que ce n’est pas une question d’homme, mais d’un système. Car le chef de l’Etat, que la nature n’a pas gâté du charisme auquel il est le seul à croire en multipliant des discours d’un fond douteux, incapable de se défaire des arcanes qui fondent son parti, s’accommode aux pratiques du modus operandi de la gouvernance du CNDD-FDD : corruption, concussion, détournement de fonds publics, ethnisme, discours de haine, assassinats, enlèvements, arrestations arbitraires, une justice sous les ordres, et j’en passe, et des pires.
Et pour s’assurer de la continuité et d’une impunité totale des crimes dont le train s’emballe comme jamais, le parti au pouvoir est déclaré, sans ambages, parti-Etat.
Il n’en fallait pas plus pour ouvrir les yeux d’une communauté internationale qui s’était laissée trop vite séduire, et qui, aussitôt, rechigne à libérer les fonds promis, sur le papier. Et sans le moindre investissement étranger, avec des mesures économiques que certains experts qualifient de suicidaires, avec l’enfermement diplomatique par la fermeture des frontières d’avec le Rwanda, les devises se raréfient, disparaissent totalement même, et le franc burundais périclite dans une inflation sans précédent.
Un adage kirundi dit : « Uwukira ingwara arayirata » (pour guérir d’une maladie, il faut la reconnaître). Mais ne voilà-t-il que notre cher Evariste Ndayishimiye se mue sans cesse dans une valse d’un « Eden », que « jamais le pays ne s’est aussi bien porté que sous ma présidence » et que « le peuple est heureux ».
Un observateur a récemment déclaré, avec justesse, qu’ « Evariste Ndayishimiye n’est pas dans le déni, mais dans la démence ».
Comment en effet ne pas croire que le président de la République est atteint de schizophrénie quand le pays semble être à l’arrêt ? Car le Burundi manque aujourd’hui de tout : pas de devises ; pas de carburant dans tout le pays ; pas d’électricité.
En l’absence de ces deux derniers produits et sans intrants qui ne peuvent être importés sans devises, les entreprises et usines sont à l’arrêt : pas de sucre, la Société sucrière du Moso (SOSUMO) ayant déclaré forfait ; plus de bières ni boissons sucrées de l’unique brasserie reconnue, la BRARUDI ; pas d’engrais ; nombre d’enfants ont interrompu leurs études en pleins examens, faute de moyens de transport ; des fonctionnaires de l’Etat, tout comme des agents du secteur privé, ne se rendent plus au travail pour la même raison, l’unique alternative, pour qui a le courage de se déplacer, étant de marcher, ou alors de débourser des sommes faramineuses pour un semblant de place dans les rares bus et taxis trop surchargés encore en circulation, qui vous font descendre où bon leur semble. Les marchés sont vides : les produits de première nécessité comme les produits vivriers sont introuvables et le peu encore disponibles coûtent les yeux de la tête ; les structures de santé, les services d’urgence en particulier, ne fonctionnent presque plus ; etc.
Face à tout cela, le gouvernement préfère faire l’autruche.
Il y a deux semaines, le président du Sénat a craché à la ministre du Commerce et du transport : « Vous êtes absente. Vous êtes sensée fixer et faire respecter les prix du transport, mais que faites-vous, que comptez-vous faire ? »
Et, comme il fallait s’y attendre, les questions se sont heurtées à un mur infranchissable du silence, à l’image de la honteuse réponse du Premier ministre face aux députés qui, deux mois auparavant, avait osé dire qu’il ne voit pas de solution en vue à la crise que traverse le pays.
Et gare à quiconque ose prendre en photo les stations-services à sec et autres images qui montrent la réalité infernale que vivent les Burundais. Et quand ils font semblant, Evariste Ndayishimiye en tête, de reconnaître à demi-mot que le pays est dans une impasse, c’est la faute … au Rwanda !

Franck Kaze, journaliste burundais en exil
« Indépendance cha cha… ».
Qu’est-ce qu’on aimerait chanter et danser en ce 1er juillet, jour sacré de l’indépendance du pays, la fameuse chanson du « Grand Kallé » !
Mais à part Evariste Ndayishimiye et ses proches, le cœur n’est pas à la joie. Et puis, comment célébrer une indépendance qui s’éloigne à grands pas ? Comment un peuple aussi affamé peut-il clamer être indépendant ?
Comment peut-on chanter l’indépendance lorsque le président se fait livrer des offrandes par une population misérable, rappelant ainsi l’ordre des colons, le traumatisant « zana ayo magi, zana amasoro » (amenez ces œufs, apportez de l’huile) ? Tout naturellement, le très _ si pas trop _ prévisible président Evariste Ndayishimiye, va encore faire un discours d’autoglorification à la Nation, il va encore une fois se moquer d’eux et leur dire qu’ils ne manquent de rien, et ce, grâce à … lui, l’homme providentiel.
Le Prince Louis Rwagasore, le héros de l’indépendance, va encore une fois se retourner dans sa tombe qui ne manquera pas d’être profanée par l’outrecuidance de celui par qui le pays n’a jamais connu une crise aussi grave, un ébranlement qui, malheureusement, n’est pas prêt de s’arrêter, à cause de l’achèvement prémédité de l’œuvre sinistre d’Evariste Ndayishimiye.
Vous avez dit « indépendance » ! C’est tout le bien que je vous souhaite ! Bonne fête à vous, cher Neva ! Vous qui n’avez de fierté que le mal infamant que vous infligez à votre propre peuple.
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Photo : le président Neva passe les troupes en revue dans la ville commerciale Bujumbura, le premier juillet 2022 en marge de la fête nationale©SOS Médias Burundi